© Julien Piffaut
ƒƒ article de Hoël Le Corre
Champagne au frais, six bouteilles, cigares prêts à enfumer la pièce, et gratin au four. Charles, un type ordinaire, presque banal, quoique dépressif et alcoolique, est sur son 31. Et pour cause : ce soir, il a invité Churchill à dîner ! Oui, le Churchill de la Guerre, ce stratège en qui son père n’a jamais cru ; ce Churchill de la Paix, celui des Accords de Yalta, l’homme aux grands discours (que Charles connaît par cœur, tant en VO qu’en VF) et au physique rondouillard.
Oui, mais voilà, le grand Winston est mort il y a 54 ans. Ce qui ne semble finalement pas déranger Charles, qui se lance dans une conversation imaginaire avec cet homme qu’il admire autant pour ce qu’il a été que pour ce qu’il a accompli. Et pendant une heure, Mon dîner avec Winston passera par l’entremêlement de la petite et de la grande histoire pour évoquer notre Europe. Celle d’aujourd’hui. Brexit compris. Alors, certes, la barbarie n’est plus à nos portes comme elle pouvait l’être en 1940, mais l’Europe n’en demeure pas moins secouée de crises, démocratiques, sociales, climatiques. Qui pour nous « sauver » cette fois-ci ? Et si, justement, ces « individus ordinaires » avaient ce pouvoir, cet espoir ? Et pourquoi pas, au besoin, s’inspirer de modèles ?
« Si vous, en étant alcoolique et dépressif, vous avez pu devenir Winston Churchill… Enfin je me comprends… »
Autour de la table dressée, pendant que le bain, péché mignon de Winston, coule, et la boisson aidant, Charles libère les mots comme d’autres ont libéré les peuples et l’on ne sait plus ce qui est le plus triste, des ruines de Londres ou des peines de cœur de Charles après que sa femme l’ait quitté. Il convoque tour à tour Dalladier, Chamberlain, Hitler, avant de se faire retoquer par son voisin pour tapage nocturne. Mais que voulez-vous ? Quand Churchill est à votre table, et qu’on évoque la guerre et la liberté, le volume est toujours un peu trop fort, isn’t it ?
Déjà, il y a trois ans, avec Moi et François Mitterrand au Théâtre du Rond-Point, Hervé Le Tellier dressait le drôle de portrait d’un type banal qui croyait côtoyer l’un des maîtres de l’Histoire. Dans Mon Dîner avec Winston, c’est aujourd’hui à l’acteur vedette de la série Le Bureau des légendes, Gilles Cohen, de converser avec l’un des « libérateurs du monde ». Quoiqu’un peu moins bonhomme que Churchill, la silhouette de Gilles Cohen n’est pas sans rappeler celle de son idole, surtout quand il enfile une combinaison faite sur mesure à partir des photos historiques.
Sans artifices, et dans une mise en scène mettant en valeur le quotidien, Mon dîner avec Winston alterne son monologue avec des extraits de discours et Gilles Cohen a cette voix et ce regard qui suffisent à mettre en valeur la puissance et l’éclat des mots. Quelques touches d’humour rythment cet hommage au grand Churchill. Les côtés plus sombres de l’homme seront évoqués rapidement, peut-être trop rapidement ? Mais sans doute est-ce parce qu’on ne retient bien souvent que les côtés admirables de son idole quand il est un moyen de se sauver soi-même ?
© Giovanni Cittadini Cesi
Mon dîner avec Winston, d’Hervé Le Tellier
Mise en scène et interprétation Gilles Cohen
Collaboration artistique François Berland
Décor Jean Haas
Lumières Jean-Pascal Pracht
Costumes Cidalia Da Costa
Son Stéphanie Gibert
Vidéo Olivier Roset
Du 4 mars au 5 avril 2020
Du mardi au dimanche à 18h30
Relâche les lundis et le 8 mars
Durée 1 heure
Théâtre du Rond Point
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 00
www.theatredurondpoint.fr
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