© Pierre Grosbois
ƒƒƒ article de Corinne François-Denève
Au début des années 2000, une pneumologue de l’hôpital de Brest, Irène Frachon, s’étonne de ce que des patients, qui ont tous pris un coupe-faim en apparence anodin, présentent des pathologies cardiaques extrêmement lourdes. Elle mène son enquête, met au jour le lien entre la prise du médicament et la maladie, alerte les pouvoirs publics, rameute la presse. Le Médiator est enfin retiré du marché. S’ensuit une longue passe d’armes entre les laboratoires Servier et les victimes. Servier sera condamné à payer de lourds dédommagements aux victimes – à celles qui ne sont pas déjà mortes. Avec La Fille de Brest, le cinéma s’était déjà emparé de ce « fait divers », et de son héroïne si banale et si extraordinaire. Le sujet a aussi attiré Pauline Bureau, qui signe Mon Coeur, exemple de « théâtre documentaire » et engagé.
Au début, on peut évidemment craindre le pire : tandis qu’un écran annonce que l’on est en 2016, l’actrice qui incarne Irène Frachon s’avance, en blouse blanche, arrimée à une valisette bourrée de documents, pour dire face public sa détermination à obtenir justice pour les victimes. Va-t-on assister à une sorte de variation larmoyante et pathétique au possible d’une pièce façon « Dossiers de l’écran » ? Mon Cœur semble de prime abord retracer le chemin de croix de Claire, mère-courage célibataire, que son médecin trouve un peu trop grosse après son accouchement, qui va donc prendre du Mediator, et en mourir, non sans avoir tout perdu – son boulot, son mec, son gosse. On la voit ne plus pouvoir aller travailler, être opérée du cœur, revenir en fauteuil, se faire plaquer par un type sans doute gentil mais dépassé, et s’effondrer enfin sur une piste de danse. La gorge nouée, et en même temps un peu gênée, on assiste au spectacle éprouvant de la douleur immarcescible d’un petit garçon, Max, que son « Monsieur Loup » ne consolera jamais d’avoir vu sa mère crever, lentement, pendant son enfance. C’est d’autant plus insupportable que l’on sait que c’est vrai, que, dans un ailleurs de ce théâtre, c’est vraiment arrivé à un petit garçon et que, pour le représenter, Pauline Bureau fait justement un choix anti-réaliste – représenter ce petit garçon par une jeune actrice fluette, qui joue au petit garçon.
Et puis, au mitan de la pièce, Irène Frachon s’avance de nouveau, et se lance encore dans un monologue face public. C’est l’audition (réelle) du médecin devant le Sénat. Elle fait la liste de ses conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques – ils sont minimes. Elle affirme que depuis toujours, elle fait ce métier non pour gagner de l’argent, mais pour soigner les gens. Elle indique avec fermeté vouloir toujours être du côté des victimes. Alors, côté spectateurs, une poche se crève, un ventricule s’ouvre, le sang afflue de nouveau, rouge et vivace. On a compris, enfin, le message, le propos, l’objet. Oui, il s’agit bien de catharsis, de purgation – ce soin, cette réparation, cette consolation qui, on le sait, ne doivent rien à la médecine, mais tout au théâtre. Oui, il s’agit bien d’un théâtre de la compassion. Oui, il s’agit bien de rendre justice, sur le théâtre, à des victimes exposées à d’autres juges, à d’autres spectateurs jusque là sourds à leur souffrance. Alors on entame la seconde partie de la pièce, le western moderne qui voit la fragile Claire, en équilibre sur le fil de sa vie, défier le grand laboratoire, avec l’aide d’un avocat un peu cow-boy.
On comprend que le rude prologue était l’exposé nécessaire à la suite. Les moments de grâce s’enchaînent : la rencontre au café, toute en délicatesse, entre Irène et Claire, leur apprivoisement mutuel, simple et sans apprêt. La première discussion avec Hugo, l’avocat, tandis que Cathy, la sœur de Claire, décide de prendre des notes dans son petit carnet à sangle, qu’elle avait sûrement acheté pour une occasion plus futile. L’émission de radio, avec son animatrice suave, mi-Macha Béranger, mi-Caroline Dublanche, qui force un rire timide et salvateur. À l’opération à cœur ouvert de Claire correspond, dans la seconde partie, l’épreuve des expertises. Pauline Bureau réussit à faire rire de ces longs moments procéduriers, indécents et odieux. Sa pièce prend même un tour épique et élégiaque, quand s’égrènent les prénoms tragiquement désuets des victimes – Yvette, Jacqueline, Henriette, Mickaël…. La fin est une coda vibrante – de SMS et de Lieder. A la fin, les gentils gagnent, pour une fois, et nous sommes consolés. A l’aide d’une distribution impeccable, d’une utilisation très intelligente de l’espace, d’une écriture tout à la fois vigoureuse et respectueuse, Pauline Bureau parvient à faire battre à nouveau les cœurs usés.
Mon cœur
Texte et mise en scène Pauline Bureau
Dramaturgie Benoîte Bureau
Composition musicale et sonore Vincent Hulot
Scénographie Emmanuelle Roy
Costumes et accessoires Alice Touvet
Perruquière Catherine Saint Sever
Lumières Bruno Brinas
Vidéo et images Gaëtan Besnard
Collaboration artistique Cécile ZanibelliAvec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier et Catherine Vinatier
Du mercredi 23 janvier au samedi 2 février 2019
Les lundi, mardi, mercredi, jeudi et samedi à 20h
Les vendredi à 19h
Durée : 2h
Dès 15 ans
Théâtre Paris-Villette211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris
Réservations : 01 40 03 72 23
resa@theatre-paris-villette.fr
www.theatre-paris-villette.fr
Métro Porte de Pantin
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