© Jean Louis Fernandez

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Laver son linge sale en famille avec pour lessive les cendres des aïeux, suggérait Jules Renard ; le grand ménage a lieu autour du cercueil d’une chienne de mère, libre à la folie, alcoolique jusqu’à plus soif, propriétaire d’un immense appartement parisien et trop pauvre pour y allumer le chauffage en hiver, écrivaine invétérée qui n’hésitait pas à envoyer ses enfants lui chercher « à boire » à l’épicerie du coin, bref une mère qui ne coche pas toutes les cases de la maternité.

Les enfants, petits-enfants et pièces rapportées forment un chœur disparate qui respire encore, si faiblement parfois, dans une coupole funéraire sertie de bancs invisibles et de voiles. Leurs trajectoires circulaires frôlent des lignes imaginaires autour du catafalque qui réfléchit une main, un bras, une oreille tel Narcisse du Caravage qui mirait sa verticalité sur le gel de l’eau. Les lumières de l’excellent Thierry Morin glissent sur une épaule, un visage, se déploient jusqu’à un genou. Elles découpent l’espace, sculptent les corps tordus, isolent les frères et les sœurs dans leurs bulles de solitude, soulignent les émotions, clair-obscur de la cérémonie des adieux. Seuls les plus jeunes ont l’avenir devant eux.

Comment se dire adieu ?  Ils entrent et sortent de l’ombre tour à tour, fantômes tristes et sombres au-dessus de l’absente sur son écrin de fleurs.  Il y a Laurent blanc comme un cierge de Paques, et complètement fauché qui croise Stan « le petit affectueux » noir corbeau, et puis Claude, le taiseux raide comme la justice et agité de tics, Houedo surnommé « le petit sensible », Vincent « l’aimé », le petit dernier et Audrey aux nerfs fragiles. Certains accablent la défunte d’autres la célèbrent.

Ce qui reste d’amour chez ces gens-là sera-t-il suffisant pour retisser les liens affectifs dans cette famille abîmée, on en doute.  Ils passent par cette épreuve du feu, la déflagration de la mort, pour sortir changés, et, certains disparaitront à leur tour à brève échéance. Les comédiens, tous exemplaires, se coulent avec jouissance dans le texte de Pascal Rambert, qui n’est pas exempt de longueurs, chacun sa musique profane ou sacrée. Que la mère meure ! combien de fois ont-ils eu envie de la tuer ?  La force de leur amour pour elle creuse la souffrance. Le sublime Vincent Dissez, danse nu sur Kate Busch « la mort est une fête nous en sommes ses clubbers, nous avons tellement dansé ensemble, maman », un ange passe à ce moment-là tandis que Claude serre sa tête entre ses mains d’impuissance comme le cri silencieux de Munch. Stanislas Nordey, l’homme qui marche de Giacometti, donne l’absolution finale avant l’incendie.

On ne finit jamais en beauté, on finit c’est tout, la résilience et le deuil dans tout ça, du bricolage. Et nous quels enfants avons-nous été ? avons-nous été au niveau ? qu’on fuit sa famille ou qu’on en soit dépendant, ça reste la grande matrice à dénouer. Le théâtre peut nous y aider qui s’adresse directement au vide, à cette absence en nous. Un grand moment à la MC 93, Bravo !

© Jean Louis Fernandez

Mon absente, texte &  mise en scène de Pascal Rambert

Lumière : Yves Gaudin

Musique : Alexandre Meyer

Costumes : Anaïs Romand

Avec : Audrey Bonnet, Océane Cairaty, Vincent Dissez, Claude Duparfait, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Mata Gabin, Stanislas Nordez, Ysanis Padovou, Mélody Pini, Laurent Sauvage, Claire Toubin.

Jusqu’au 19 janvier 2024 à 20h

vendredi 19h

Durée : 2 h

MC93

9 bd Lénine

93 000 Bobigny

Réservations : 01 41 60 72 72

reservation@mc93.com

Tournée :

Théâtre national de Nice les 23 et 24 janvier

Modène (Italie) du 27 au 28 janvier

Du 1er au 3 février La Criée, Théâtre National de Marseille

Le texte de Pascal Rambert est édité aux Solitaires Intempestifs .

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