© Thibaut Darnat
ff Article de Denis Sanglard
Jubilatoire, totalement. Moi aussi je suis Barbara, où l’on retrouve avec délectation l’univers acide à nul autre pareil de Pierre Notte. Ce ton si singulier, cet univers si caustique d’une âpre cruauté sans égale, et drôle, furieusement. Famille dysfonctionnelle, comme toujours faite de solitudes agrippées les unes aux autres, indissociables pourtant. La mère, au centre, ravagée de nostalgie qui ressasse, fautes de grammaire en sus, ce qu’elle fut, ce qu’elle n’est plus, et son incompréhension devant une progéniture qui lui échappe définitivement. Le fils ainé, aussi mutique que le fut son père un beau jour disparu sans un mot, truffant les murs de coups de révolver, seul exutoire au mal-être qui le ronge. La fille Marie qui se scarifie de ne pas avoir cru qu’on puisse l’aimer et vit l’amant ainsi éconduit se défenestrer sous ses yeux. Et la dernière, Geneviève, qui décide d’être Barbara, rien de moins. Où les chansons de la Longue Dame Brune sont la seule réponse, entre le poulet aux pruneaux et les îles flottantes sans caramel, au désastre familiale, pour combler ce gouffre béant d’une vie minuscule et tragique sans autre horizon que cette cuisine en formica. « Le mal de vivre qu’il faut bien vivre, vaille que vivre… » Plutôt être Barbara que personne, donc. Et attendre en chantant celui qui la sortira de là, au risque d’y rester définitivement, comme dans Lily Passion. Pierre Notte signe là une comédie grinçante, toujours cette écriture si pointue, précise et allègre, aux répliques vinaigrées subtilement vachardes et qui crissent comme une craie sur un tableau noir.
Et toute résonnance avec son roman autobiographique J’ai tué Barbara* ne serait pas si fortuit. Aurions-nous donc là un savoureux autoportrait-chinois en creux, au vitriol et sans complaisance ? Sans doute, mais pas que. Parce qu’il y a dans cette affaire Pauline Chagne qui partage avec l’auteur la même admiration pour l’ermite de Précy-sur-Marne et qui décidât un jour d’adapter à sa manière et avec la complicité curieuse de son auteur Moi aussi je suis Catherine Deneuve . Repris et donc adaptée à l’aune d’une addiction commune pour l’auteure de L’aigle noir. Culotté, mais réussi. Et Pauline Chagne dans cet exercice d’admiration pour la chanteuse, parce que s’en est un aussi, se glissant dans la peau de Geneviève/Barbara est époustouflante. Tout y est qui doucement emporte Geneviève vers une folie qui la sauve de la médiocrité de son destin, qui fait de cette cuisine son ultime Châtelet. La voix jusque dans le chant, l’intonation si particulière, le souffle et le geste si singulier, le costume. L’aigle noir n’a beau ici être qu’un triste poulet, Barbara est bien là, réincarnée et l’on est quelque peu troublé de cette performance qui se refuse à l’être. Parce qu’il ne s’agit pas d’un hagiographie de Barbara, madone empathique des cas souvent désespérés, mais du portrait d’une jeune fille, tout aussi désespérée, qui s’invente en Barbara. La nuance est importante que souligne la subtilité du jeu de Pauline Chagne qui lentement se défait de Geneviève pour devenir Barbara. Car la dure réalité demeure, on a beau répondre à Denise Glaser, l’aspirateur passe avec son boucan d’enfer dans la cuisine. Jean-Charles Mouveaux a bien saisi la dinguerie anxiogène de l’univers chère à Pierre Notte, le fracas intérieur et explosif des membres de cette famille mal accordée qu’il met en scène sans chichi, sans jamais en faire trop dans le burlesque, gardant mesure en toute chose préférant la finesse à la surenchère, faisant surtout toute confiance au texte, un respect où la langue trempée de vitriol est ainsi exacerbée, exhaussée comme il se doit, que ponctuent les chansons de Barbara, comme un baume sur des plaies à vif. S’appuyant sur des comédiens qui de ce texte font assurément leur miel, où leur fiel ici, dirigés au cordeau et qui dessinent leur personnage sans jamais forcer le trait mais avec beaucoup d’humanité aussi déglinguée, ravagée soit-elle. Pauline Chagne, donc. Mais aussi Flore Lefebvre des Noëttes, la mère, borderline et dépassée. Marie Nègre, d’une douceur toxique, qui chante excellement son mal-être. Et Jimmy Bregy, le frère mutique et cabossé. On a beau planquer fissa ici hachoir et couteau, tout ça est aiguisé et tranchant. Et terminer ce jeu de massacre familial par « Ma plus belle histoire d’amour », ça pourrait paraître gnangnan et franchement tarte, cela n’en est en fait que plus cynique et corrosif.
© Thibaut Darnat
Moi aussi je suis Barbara de Pierre Notte et Pauline Chagne
Chansons de Barbara et Pierre Notte
Mise en scène de Jean-Charles Mouveaux
Assisté de Esther Ebbo
Lumières : Pascal Noël
Scénographie : Jean-Charles Mouveaux
Adaptation musicale : Clément Walker-Viry
Costumes : Bérangère Roland
Directeur technique : Thomas Jacquemard
Avec : Jimmy Bregy, Pauline Chagne, Flore Lefebvre des Noëttes, en alternance avec Chantal Trichet, Marie Nègre, Clément Walker-Viry
*J’ai tué Barbara, suivi de La chanson de Madame Rosenfelt, paru chez Philippe rey
Du 16 décembre 2022 au 2 avril 2023
Du jeudi au samedi à 21h, les dimanches à 15h
Studio Hébertot
78 boulevard des Batignolles
75017 Paris
Réservation : 01 42 93 13 04
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