ƒƒƒ article de Marguerite Papazoglou
Cette année, avec le Théâtre de la Ville, nous revisitons l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker ! Pas moins de douze pièces ou événements sont programmés. Hommage mais aussi une façon et occasion d’appréhender sa démarche de création.
Formalisme et abandon, raffinement permanent du geste et lyrisme, développement géométrique, polyphonie, spirales, solitude et communion, abstraction, rigueur formelle, voilà autant de façons de qualifier à la fois la musique de Jean-Sébastien Bach et les pièces d’Anne Teresa De Keersmaeker. Bach a tenu une place capitale parmi les compositeurs explorés par cette chorégraphe dont le travail est sous-tendu, depuis sa première pièce sur Steve Reich jusqu’aux plus récentes (dans une collaboration suivie avec l’ensemble Ictus ou la toute dernière sur les Concertos Brandebourgeois), par la question du rapport entre la danse et la musique. Travailler sur ou plutôt avec les Suites pour violoncelle était une nécessité. Cela s’est produit sur l’invitation du violoncelliste Jean-Guihen Queyras.
C’est de façon très sérieuse, presque ascétique, que la chose est abordée. Comme à son habitude, exit la musique-ambiance ou « papier peint » comme elle le dit elle-même, exit l’illustration voire le mimétisme (cf. les chorégraphies « classiques »), exit aussi le déni post-moderne. Anne Teresa De Keersmaeker s’attaque à la partition, point de départ générateur de l’interprétation musicale, et la questionne en danseuse. Elle explicite volontiers son processus de travail : ce qu’elle va chercher d’abord c’est l’organisation interne à tous les niveaux : construction, glissements harmoniques, structure des phrases et de la polyphonie. Cela sert de fil conducteur à l’écriture à travers un code attribuant divers paramètres chorégraphiques (direction de la colonne vertébrale, orientation du déplacement dans l’espace, partie du corps initiant le mouvement, etc.) à tel ou tel élément musical. Cela bien sûr n’a pas pour vocation d’être décodé par le spectateur mais cette rigueur transpire dans la présence des danseurs et introduit la possibilité de ce type d’ « écoute » de la danse, hors du spectaculaire, du discursif et même du lisible. Cela figure comme une voie salvatrice contre l’insignifiant et le faux-semblant. Tout y invite, costumes, décor, lumière. Ces « artifices » sont réduits à leur strict minimum fonctionnel : des tenues sombres qui évoquent le studio de répétition, un plateau nu avec seulement tracée au sol la rosace basée sur le pentagone régulier, une lumière homogène, neutre et fixe. C’est d’après ses propres mots « une célébration du dépouillement » ! En ce qui concerne les mouvements eux-mêmes, si les interprètes apportent chacun non seulement son tempérament mais aussi sa pâte gestuelle, la virtuosité n’est jamais démonstrative. « My walking is my dancing. » Outre l’aspect descriptif de ce principe qui indique que ce que font littéralement les danseurs est de mettre un pied devant l’autre, ce qui n’est pas une boutade, on peut aussi y entendre un autre type d’évidence : le corps – son poids, son souffle, son humanité – n’est pas nié ; au contraire il est rendu plus palpable, plus présent, dénudé. La musique le traverse, c’est visible, avant d’en soutirer le mouvement !
Jouer et danser les six Suites les unes après les autres est déjà une prouesse. Et si l’intelligence et la complexité de la structure met si bien au défi les danseurs et en tire réactions et présence profondément à vif – les duos de chacun des interprètes avec Anne Teresa sont magnifiques –, on pourrait dire que c’est cette danse tellement essentiellement mélomane qui ancre tout le reste, l’empathie vertigineuse dans les spirales, l’émotion, le chemin qui fait apparaître la mort et le silence au détour d’une suspension du geste et de la véhémence de la vie, la rédemption dans la pensée de l’univers, tout ce reste porté par le titre de ce vers tronqué : Mitten wir im Leben sind / mit dem Tod umfangen « Au cœur de la vie nous sommes / entourés par la mort. »
© Marco Borggreve
Mitten wir im Leben sind / Bach6Cellosuiten, Anne Teresa De Keersmaeker
Créé et dansé par Boštjan Antončič, Anne Teresa De Keersmaeker, Marie Goudot, Julien Monty, Michaël Pomero
Musique Johann Sebastian Bach, 6 Suites pour violoncelle seul, BWV 1007 to 1012
Violoncelle Jean-Guihen Queyras
Costumes An D’Huys
Lumières Luc Schaltin
Dramaturgie Jan Vandenhouwe
Son Alban Moraud
Du 17 au 19 novembre 2018 à 20h30
Philharmonie de Paris, Théâtre de la Ville (programmation hors les murs)
221 avenue Jean Jaurès
75019 Paris
www.theatredelaville-paris.com
Tournée :
Du 16 au 20 janvier 2019
deSingel – campus international des arts
Desguinlei 25
2018 Antwerpen, Belgique
Réservation : +32 3 248 28 28
19 février 2019
De Warande
Warandestraat 42
2300 Turnhout, Belgique
Réservation :+32 14 41 94 94
21 février 2019
Festival van Vlaanderen au Wilde Westen
Conservatoriumplein 1
8500 Kortrijk, Belgique
Réservations : +32 56 37 06 44
24 et 25 avril 2019
Sadler’s Wells Theatre
Rosebery Ave, Clerkenwell
London EC1R 4TN, Royaume-Uni
18 et 19 mai 2019
Tokyo Metropolitan Theatre
1-8-1 Nishi-Ikebukuro
Toshima, Tokyo, Japon
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