À l'affiche, Agenda, Critiques, Festivals // (M)imosa or Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M), conception et interprétation de Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Trajal Harrell et Marlene Monteiro Freitas, programmé par le Centre National de la danse dans le cadre du Festival d’Automne

(M)imosa or Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M), conception et interprétation de Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Trajal Harrell et Marlene Monteiro Freitas, programmé par le Centre National de la danse dans le cadre du Festival d’Automne

Déc 07, 2023 | Commentaires fermés sur (M)imosa or Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M), conception et interprétation de Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Trajal Harrell et Marlene Monteiro Freitas, programmé par le Centre National de la danse dans le cadre du Festival d’Automne

 

© Annavan Kooij

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La danse est un art du ressassement. Plus encore que le théâtre, fermement ancré sur la page du livre, la danse se poursuit par la gestation des mouvements d’un corps à l’autre, par la répétition, par la reprise (il n’est qu’à considérer le ballet classique) et même par l’écart qui reste malgré tout lié à un précédent geste inaugural. A la tradition orale ou écrite supplée ici la mémoire des corps. Mémoire fantôme aussi. La danse contemporaine s’écrit dans le miroir de celles qui la précèdent tout autant que de celles qui l’accompagnent. Le soubresaut d’un muscle se fait l’écho d’un autre muscle. Le point fixe se réduit dans cette histoire à celui d’un corps dans l’espace et le temps. La réflexion devient vertigineuse dans le cas de (M)imosa dont Trajal Harrell fut l’instigateur en 2011, accompagné dans cette cocréation par Cecilia Bengolea, François Chaignaud et Marlene Monteiro Freitas. Pensée comme une hypothétique version de ce qu’aurait pu être la post-moderne dance si elle avait croisé sur son chemin le voguing, (M)imosa, pièce désormais culte et découverte pour ma part dans le cadre du Portrait dédié à Trajal Harrell par le Festival d’Automne, superpose en effet les traces maquillées d’un moment de l’histoire de la dance contemporaine à sa propre trace puisque (M)imosa fut créé il y a douze ans par les mêmes interprètes.

La puissance étrange de cette œuvre irise bien au-delà du champ de la danse. Une créature d’Otto Dix prend ainsi chair, sous une toison de boucles noires, triste figure gelée dont la bouche cerclée d’un rouge affolant ouvre sur un trou noir, surplombant torse et seins luisant à cru sous une veste noire. Traversant la scène de long en large, elle en fait un trottoir, regard persistant vers la chaussée-public, dans une cavalcade énergique et nerveuse qui ébroue des dents blanches et saillantes. C’est le feu de New-York, de ses flamboyantes marges et c’est aussi l’effroi glacé de l’avant-garde expressionniste berlinoise. La facticité et l’artefact exhibent et couronnent le pouvoir sans égal de l’apparence quand elle est en acte. Dans le rectangle surexposé par des projecteurs latéraux installés à hauteur d’homme, la fureur de la danse performative de Marlene Monteiro Freitas, libre comme un ensauvagement free jazz, annihile les catégories et les époques pour n’être qu’un évènement absolu. Comme le vocalise si bien François Chaignaud dans une longue liste à la Prévert, sublime et altier travesti à fourrure et fausse poitrine endiamantée, l’art vivant ne le resterait-il pas à condition de baiser bestialement l’univers entier ? You can fuck the universe… but fuck me. Cette injonction pasolinienne, outre son caractère éminemment comique par sa forme lyrique empruntant à la musique savante, peut aussi se recevoir comme le résumé de tout programme avant-gardiste : engrosser les œuvres passées et ainsi renouveler leur forme.

Dans ce brillant et déjanté cabaret, les numéros sont virtuoses et travaillent à une mathématique de la surenchère où la loi est celle du plus offrant. De cette offrande somptuaire ne comptant pas à la dépense des corps, à la manière presque d’un potlach, on se sent gagné par une profonde amitié, de celles qui font les plus belles connivences, où nous sommes toutes et tous bitch. Drag queen, drag king, performeuse artsy, stand-up, scandent le temps d’une soirée comme si elle ne devait jamais se terminer, déflorant l’art vivant comme ils lanceraient en l’air le bouquet de la jeune mariée enlevée en plein banquet. On se sent, comme on imagine ceux présents au Judson Church Theatre entre 1962 et 1964, heureux d’en être. La survivance des formes est ici la résurrection et métamorphose sans fin des corps.

 

 

© Annavan Kooij

 

 

(M)imosa or Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (M), conception et interprétation, Cecilia Bengolea, François Chaignaud, Trajal Harrell et Marlene Monteiro Freitas

 

Du 29 novembre au 3 décembre 2023 à 20h sauf dimanche 17h

Durée : 2h15

 

CND hors les murs / Théâtre du Fil de l’eau

20, rue Delizy

93500 Pantin

Tél : +33 (0)1 41 83 98 98

https://www.cnd.fr

 

Avec le Festival d’Automne

www.festival-automne.com

 

 

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