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Médée, opéra-comique de Luigi Cherubini, livret de François-Benoît Hoffman, direction musicale de Laurence Equilbey, mise en scène de Marie-Eve Signeyrole, à l’Opéra-Comique

Fév 12, 2025 | Commentaires fermés sur Médée, opéra-comique de Luigi Cherubini, livret de François-Benoît Hoffman, direction musicale de Laurence Equilbey, mise en scène de Marie-Eve Signeyrole, à l’Opéra-Comique

 

 

© S. Brion

fff article de Denis sanglard

« Je n’ai pas eu le choix » ainsi Médée justifie-t-elle l’irréparable, l’infanticide, dans la mise en scène de Marie-Eve Signeyrole. Médée la barbare, au sens premier du terme, n’est pas ici par nature monstrueuse. C’est la société qui fabrique le monstre, à commencer par le regard qu’elle lui porte, en premier lieu d’être étrangère. Médée est la victime d’une société patriarcale et raciste qui exerce à son encontre, comme envers toutes les femmes, une violence intrinsèque et dont Jason, tout comme Créon, est ici le représentant. La terreur exercée à leur encontre domine ici où le viol, y compris conjugal, arme de répression, participe de cette domination. Les femmes ne sont que des monnaies d’échange, ce que fut Médée, ce qu’est aujourd’hui sa rivale Dircé. Sacrifiée aux ambitions masculines, voire masculinistes. Témoins et victimes de cette violence, leurs enfants, objets d’une tractation. La force et l’originalité de cette mise en scène, et sa cohérence, est d’adopter le regard de ces enfants, témoins d’une tragédie dont ils seront les victimes. Ils sont de toutes les scènes, attentifs et muets. La vidéo, jamais invasive, capte leurs regards inquiets, parfois terrorisés devant ce qui se joue. Un gros plan furtif sur un dessin de l’un d’eux est révélateur qui renvoie cette violence, comme en tragédie classique, au hors-champs, mais accuse de fait de la violence exercée par Jason. C’est d’ailleurs cette subtilité, un sens des détails les plus ténus, qui fait toute la valeur de cette mise en scène qui se refuse à l’explicite pour l’implicite. Ainsi du meurtre nous ne verrons rien, seulement la préparation minutieuse, glaçante, d’un petit-déjeuner que l’on sait à l’issue fatale. De même le grincement de deux balançoires vides que poussent le vent acte une résolution effective. Ou l’infanticide lui-même ne se reflétant que dans les yeux de Médée noyant ses enfants.

La fureur de Médée pour Marie-Eve Signeyrole n’est pas une crise de jalousie porté à son acmé mais une situation de crise, larvée depuis la Colchide, qui voit aujourd’hui Médée répudiée contrainte à l’exil, prendre conscience de sa condition de femme, d’étrangère dans une société qui ne lui laisse aucun droit, pas même sur ses enfants dont elle sait qu’ils seront à leur tour, puisque bâtards et métis, des victimes. L’infanticide, ce choix résolu, n’est que la volonté de les soustraire aux lois grecs qui, malgré Jason, ne peuvent les accepter. La metteuse en scène dépouille volontairement la petite fille d’Hélios de ses attributs de magicienne pour lui rendre sa condition humaine, avec ses failles et ses fragilités, trop souvent occultée par la volonté d’une dramaturgie sciemment spectaculaire qui confine à l’hystérie (une vision purement masculine soit dit en passant).

Sur le plateau elles sont deux, que la présence des enfants relie l’une à l’autre, la cantatrice Joyce El-Khoury et la comédienne Caroline Frossart, pour que dialogue et se noue le mythe et son écho dans une réalité contemporaine. Si Médée rejoint les Enfers, la prison attend la seconde. C’est une mise en scène fortement théâtrale, intelligente et cohérente de bout en bout, où jamais rien n’est appuyé, nulle démonstration en force, mais qui n’oublie pas la formidable partition de Cherubini qu’elle ne trahit pas mais approfondit proposant une lecture non pas moderne mais avant tout universelle sans rien sacrifier au mythe, dans sa vision plus traditionnelle, mis en musique par le compositeur.

Et c’est ce frottement-là, cette friction entre deux visions antagonistes, le divin et l’humain, et se rejoignant qui offrent ici au personnage de Médée une tension tragique inattendue, originale où le mythe est devenu aujourd’hui un syndrome, preuve de sa permanence dans l’inconscient collectif. Et d’avoir restauré une partie des dialogues, en alexandrins, de la version française originale de 1797, outre de respecter la version Opéra-Comique, donne davantage encore de densité et d’expressivité à chacun des protagonistes. Même si, petit bémol, les chanteurs sont moins à l’aise dans l’appréhension du texte parlée. A ces alexandrins de François-Benoit Hoffman, Marie-Eve Signeyrole ajoute en incise quelque extraits de la lettre de Médée à Jason, supplique où éclatent la souffrance de Médée, tirée des Héroïdes d’Ovide ( à lire dans leur intégralité pour l’analyse d’une psyché tourmentée mais lucide), et le témoignage de mères infanticides. Ce n’est pas excuser mais tenter de comprendre l’irreprésentable,  où s’inscrit la transgression, comment du « Médéa fiam » on passe au « Médéa nunc sum » de Sénèque.

Joyce El-Khoury, bien qu’annoncée souffrante, assure néanmoins vocalement sa partition avec une conviction certaine. Puissance de la voix et de son émission, du souffle, diction parfaite mais surtout une intensité tragique affirmée. De Médée elle offre un visage heureusement contrasté, une incarnation où la fureur se nuance de souffrance, de douceur, de fragilité. Ménageant ses effets en bonne tragédienne elle ne livre rien d’emblée, c’est une montée progressive vers un climax que l’on pressent irréversible dans sa violence. C’est d’abord une Médée sous pression, implosive plus qu’explosive avant que tout n’éclate, superbement, ne laissant que cendre. Lila Dufy (Dircé), souffrante également mais n’en laissant rien paraître vocalement tant l’agilité vocale ne fait pas défaut, fait montre d’un tempérament dramatique, entre innocence, désespoir et peur. Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Néris), mezzo à la voix d’ambre et chaude, ( son unique air en duo avec pour écho un basson est une merveille) incarne avec une véritable intensité tragique son personnage en souffrance, consciente de son destin et de sa perte. Un trop petit rôle, se dit-on, pour une si grande voix. Le ténor Julien Behr (Jason) est le parfait salaud de l’histoire, certes un peu trop bien campé dans son personnage qu’il nuance peu. Mais la voix, claire, est puissamment assurée. La basse Edwin Crossley-Mercer, voix profonde et sublime, mais son Créon est par trop monolithique, hiératique et manque d’aspérité. Et comme toujours le Choeur Accentus dirigé par Christophe Grapperon est impeccable et de haute tenue. Dans la fosse, Laurence Equilbey à la tête de l’Insula Orchestra, est toute à son affaire. La partition de Cherubini est un nuancier de couleurs, d’émotions, un maëlstrom de nuances qu’elle restitue avec une vivacité peu commune et une théâtralité musicale affirmée. Cette version française de Médée, trop souvent occultée au profit de sa version italienne (et l’empreinte immarcescible de Maria Callas), plus opératique, mérite amplement d’être redécouverte. Laurence Equilbey et Marie-Eve Signeyrole signent ensemble une entreprise méritoire, une vraie réussite.

 

© S.Brion

 

 

Médée, opéra-comique de Luigi Cherubini

Livret de François-Benoît Hoffman

Direction musicale de Laurence Equilbey

Mise en scène de Marie-Eve Signeyrole

Décors : Fabien Teigné

Costumes : Yashi

Lumières : Philippe Berthomé

Vidéo et cadrage plateau : Céline Baril

Post-production vidéo : Artis Dzerve

Dramaturgie : Louis Geisler

Bruiteur : Samuel Hercule

Assistant à la direction musicale, chef de chœur : Christophe Grapperon

Assistante à la direction musicale : Guillemette Daboval*

Assistante à la mise en scène : Sandra Pocceschi

Assistante aux costumes : Claire Schwartz

Directeur des études musicales : Yoan Héreau

 

Avec : Joyce El-Khoury, Julien Behr, Edwin Crossley-Mercer, Lila Dufy, Marie-André Bouchard-Lesieur, Michèle Bréant*, Fanny Soyer,*, Caroline Frossard

 

Figurants : Inès Dhahbi, Sire Lenoble N’Diaye, Lisa Razniewski, Mirabela Vian

Enfants : Ines Emara, Félix Lavoix Donadieu, Edna Nancy, Erwan Chevreux (Maîtrise Populaire de l‘Opéra-Comique)

Orchestre : Insula Orchestra

Chœur : Acccentus

*artistes de l’Académie de l’Opéra-Comique

 

8, 10, 12, 14 février 2025 à 20h

16 février 2025 à 15h

 

Opéra-Comique

1 Place Boieldieu

75002 Paris

 

Réservations : 01 70 23 01 31

www.opera-comique.com

 

 

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