© Hervé Bellamy
Article de Denis Sanglard
Un matin, un soir. Une naissance, une mort. Le premier du jour de Johannes et son dernier. Entre les deux, 80 ans dont nous ne saurons rien, ou quelques bribes à peine. Un mariage, des enfants, un veuvage. La première cigarette du matin, la tasse de café, la partie de pêche quotidienne. Du premier jour de sa vie qui n’est que sensation pure d’une conscience soudain mise au monde, au dernier où l’étrangeté de la situation, Johannes est mort mais ne le sait pas encore, échappe à tous raisonnements. Ainsi Johannes rencontre son ami Peter, mort déjà, ensemble ils pêcheront des crabes. Puis sa femme Erna, morte elle aussi, bien avant lui. Tout semble pourtant si naturel et si léger. Un jour ordinaire. Un peu décalé cependant. Et puis il y a Signe, sa fille cadette, qui s’en vient et ne le voit pas, passe au travers de lui. Et le découvre dans son lit, mort. Et Peter vient chercher son ami, l’accompagne « là où il n’y a plus de mot ». Jon Fosse imagine cet entre-deux où l’homme prend conscience de sa mort et s’efface doucement. Où des lambeaux de vie, de conscience s’accrochent encore dans la mort survenue. Où tout semble soudain plus aigu, exacerbé, en apesanteur. Pas de révolte pourtant mais une incompréhension devant le fait, avant une douce appréhension, jusqu’à l’acceptation, la résignation. Une écriture simple, directe. Cette écriture propre à Jon Fosse, minimaliste, épurée et toute de tension. Et dans cette pauvreté stylistique volontaire et magistrale s’engouffre tout le mystère, la misère et la grandeur de l’être. Que dire de la mise en scène d’Antoine Caubet devant cette difficulté, l’aridité de ce théâtre-récit ? Las, on pourrait sans doute prendre cela au mieux pour un pastiche de Claude Régy, familier de l’auteur, si l’entreprise ne se voulait sérieuse. Ce qu’elle est, sérieuse… Voix atonales, voire sépulcrales, corps immobiles, empêchés, figés, déplacements a-minima et mouvements comptés. Silence. Scénographie abstraite, un plateau surélevé, nu, entouré d’eau… on compte sans y prendre garde et distraitement les emprunts qui se métamorphosent ici en tic. Artefact involontaire, ou sous influence, veut-on croire, le naturel – qui ne l’est jamais – s’efface devant l’artifice du procédé qui vous saute aux yeux et tout semble résolument plaqué. Sans nulle tension donnée qui susciterait l’intérêt. Antoine Caubet évide jusqu’au corps de l’acteur, comme absent à lui-même. L’ennui mortel finit donc par achever cette création. Le spectateur lui, entre en agonie.
© Hervé Bellamy
Matin et soir de Jon Fosse
Traduction de Terje Sinding (Editions Circé)
Adaptation, scénographie et mise en scène Antoine Caubet
Assistante Marlène Durantau
Lumières Antoine Caubet et Romain Le Gall Brachet
Son Valeria Bajcsa
Costumes Cidalia Dacosta
Maquillages et perruque Magalie Ohlman
Photographie Hervé Bellamy
Construction des décors Eric den Hartog et Antonio Rodriguez
Régie générale Romain Le Gall Brachet
Violoncelle, composition et interprétation Vincent Courtois
Avec Marie Ripoll, Pierre Baux, Antoine Caubet
Du 5 au 24 février 2019
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Réservations 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.com
comment closed