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Matamatà, de Bruno Freire, aux Laboratoires d’Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

Juin 20, 2024 | Commentaires fermés sur Matamatà, de Bruno Freire, aux Laboratoires d’Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

© Bruno Freire

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Lorsque la lumière tomba, ce fut comme assister à un coucher de soleil depuis la canopée amazonienne, quand les rayons solaires, orangés, en feu, se mettent à l’horizontal, vous éblouissent sans vous brûler et que l’ouïe découvre, par la grâce de cet aveuglement, une faune et un monde sonore s’en donnant à cœur joie, inaperçus jusque-là. Bruno Freire réussit cela. Et ces premières et précieuses minutes forment un immense déplacement, à peu de frais, en ouverture de ce Matamatà, conçu comme un diptyque avec le précédent spectacle solo du chorégraphe d’origine brésilienne, et inspiré d’un livre du poète et écrivain brésilien Paulo Leminski, narrant le voyage fictionné de Descartes, l’homme de la raison et de la méthode, au pays d’une inimaginable luxuriance. Matamatà est d’abord une pièce puissamment nocturne, d’ombres reflétées, composée de variations et nuances d’obscurité, travaillant ses gouffres et ses pleins encrés comme a pu le faire Soulages en peinture. La référence picturale est d’ailleurs omniprésente, non pas qu’elle soit recherchée par Bruno Freire (sans vouloir rien préjuger de ses intentions) mais parce que Matamatà place le spectateur dans une difficulté du voir, qui, à défaut de clarté, trouve le chemin d’une lucidité sensorielle qui dépasserait la simple vision, et renouvelle ainsi ce qu’est voir à la manière de certains peintres. C’est en cela bien une expérience, une expérimentation, que nous propose Bruno Freire. Et l’on pense à celles qu’a pu conduire dans le champ théâtral Claude Régy quand, d’un noir absolu, semblait sourdre un infime halo lumineux comme émis par un corps à la frêle visibilité. La rétine, à ses faibles intensités, fonctionne différemment, conserve la trace des mouvements déjà effectués comme un trait sur une toile qui progressivement va s’effaçant avec un temps de retard. La peinture encore : en explorant la forêt profonde de Matamatà, on pense à certaines toiles de Hans Hartung, à ses coups de pinceaux dont la toile conserve l’élan. Du groupe de corps indiscernables au plateau, surgissent des formes difformes, des appendices qui semblent s’étirer comme des tentacules au-delà de l’humain, des bras immenses comme chez Le Greco. On est médusé par cette méduse dont les serpents s’élancent et trouent la noirceur comme des jets d’une blancheur laiteuse. L’espace de ce bois lacté est d’une profonde liquidité. Par une fine modulation lumineuse, le voir se rétracte puis se répand dans une infinie variation comme une éponge absorbant et expurgeant sans cesse les corps-images. Les trois danseurs travaillent à une danse-métamorphose, ils sont herbes folles, algues, ployant, pliant, ondulant, et l’on peut presque lire à travers eux le vent qui parait les balayer, les forces qui passent en corps en corps. Signalons la virtuosité des corps dans ces lâchers prises parfaitement syncopés, dans cette fluidité parfaitement maîtrisée alors qu’elle ne semble que liberté.  On pense enfin à Jérôme Bel et à sa dernière proposition collectionnant et interrogeant ces Danses non humaines : Matamatà est bien de cette espèce. Accompagnée d’une bande-son enveloppante, envoutante, la pièce, après avoir fondu ses corps dans la matrice du noir, les fera resurgir ailleurs et autres : corps saouls de s’être dissous, ils appareilleront vers de nouvelles déterritorialisations, animales, produisant un nouveau biotope réglé par d’autres manières d’être vivants. Et pour nous d’autres manières d’être spectateur.

 

© Bruno Freire

 

Matamatà, chorégraphie de Bruno Freire

Interprètes: Robson Ledesma, Magdelaine Hodebourg, Anabelle Reid

Entraînement physique : Thiago Antunes

Design son: Ricardo Vincenzo

Design lumière : Felipe Bomquipani

Dramaturgie : Rodrigo Batista

Costumes et maquillage : Stef Assandri

 

Durée : 50 minutes

Vu l e 12 juin à 20h00 dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis

 

Les laboratoires d’Aubervilliers

41 Rue Lécuyer

93300 Aubervilliers

 

http://www.leslaboratoires.org

Tél : +33(0)1 53 56 15 90

 

 

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