© Lucie Jansch
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Bien sûr on pourrait dire que Bob Wilson fait toujours le même spectacle et que Mary said what she said ne fait pas exception. Bien sûr, on pourrait écrire qu’Isabelle Huppert fait du Isabelle Huppert et que Mary said what she said en est une illustration de plus. L’on pourrait aussi avancer que rien ne différencie la reprise de cette dernière collaboration (créée en 2019 et spectacle qui a déjà beaucoup tourné) entre le metteur en scène et la comédienne, de leurs précédentes, à savoir Orlando (de Virginia Woolf), ou Quartett (de Heiner Müller). Les identiques tableaux lumineux, les clairs obscurs, les contre-jours, la même gestuelle, avec ce positionnement des mains et des doigts si caractéristiques, les mouvements tantôt saccadés, tantôt au ralenti, les longues pauses immobiles, mains derrière le dos ou à la taille.
C’est de dos que l’on découvre Isabelle-Mary, les mains comme attachées de manière élégante à l’arrière, donnant à la silhouette gracile une allure altière, se détachant comme une ombre sur le fond lumineux. Un port de reine, souligné par une collerette, enserrant le cou frêle, les épaules bien basses et omoplates resserrés sous la robe à corset soulignant la finesse de la taille. Oui, incontestablement l’idée ou l’image que l’on se fait de toute figure royale féminine, même si les portraits peints que l’on a conservés de Mary Stuart montrent un visage un peu ingrat, et un regard vide si peu en accord avec sa personnalité combattive et finalement martyre, celle d’une reine à la vie et au destin tragiques, qui choisit une robe rouge pour monter à l’échafaud et impressionna par son courage tous les « spectateurs » présents, ainsi que le relatent historiens et biographes, tel Stefan Zweig dont s’est beaucoup inspiré Darryl Pinckney (ainsi que de ses quelques lettres) pour construire son texte. Ce dernier est pluriel, les phrases sont tantôt factuelles et linéaires, tantôt poétiques. Il est toutefois difficile d’en apprécier toute la richesse, tant sa déclamation presque toujours précipitée, est souvent inaudible, surtout au début, le volume sonore de la musique lancinante, en forme d’ostinatos, de Ludovico Einaudi recouvrant bien trop la voix d’Isabelle-Mary. Et ce n’est évidemment ni une question de langue (le spectacle est bien en français contrairement à ce que le titre pourrait laisser entendre), ni de puissance vocale, puisque la comédienne est sonorisée, ni de diction puisqu’elle est extrêmement articulée, ce qui est d’ailleurs, sur l’heure 30, une prouesse tant le débit imposé est rapide, même si quelques pauses lui sont accordées par le relai à plusieurs reprises d’un enregistrement de sa propre voix. A ces quelques exceptions près et bribes de paroles masculines en voix off, et interaction uniquement gestuelle d’allers et venu avec un double (dont le nom et l’existence ne figure nulle part dans le programme), le monologue de Mary, comprenant trois parties, est d’une grande densité et mériterait donc une compréhension plus facile pour une meilleure réception du spectateur.
En dépit de ce regrettable inconvénient qui pourrait aisément être aménagé, la magie opère. Le talent d’Isabelle Huppert disparaissant derrière Mary Stuart hypnotise, aussi bien quand elle a presque l’allure d’une marionnette (du pouvoir, des hommes, de la société ?), que lorsqu’elle surgit d’un brouillard onirique, ou semble gémir ou hurler comme un animal, bouche grande ouverte. Et enfin, il y a cette diagonale finale, à jardin, improbable, qui pourrait être ridicule, dans sa gestuelle comme dans son caractère répétitif mais qui semble subjuguer tant son exécutrice (comme toute danseuse plus traditionnelle l’a éprouvé dans le travail des diagonales) que le public conquis qui pour une grande partie se lève aux saluts de Mary said what she said laquelle après ce petit marathon se remet dans la position de départ, attendant que le couperet de la hache tombe. Ce n’est qu’un traditionnel rideau de velours rouge (sang ?) qui impose la coda.
© Lucie Jansch
Mary said what she said de Darryl Pinckney
Mise en scène, décors et lumières : Robert Wilson
Musique : Ludovico Einaudi
Costumes : Jacques Reynaud
Metteur en scène associé : Charles Chemin
Collaboration à la scénographie : Annick Lavallée-Benny
Collaboration aux lumières : Xavier Barron
Collaboration à la création des costumes : Pascale Paume
Collaboration au mouvement : Fani Sarantari
Design sonore : Nick Sagar
Design coiffure : Jocelyne Milazzo
Design maquillage : Sylvie Cailler
Traduction de l’anglais : Fabrice Scott
Avec : Isabelle Huppert
Jusqu’au 14 mai 2023, à 20h
Durée 1h30
Théâtre de la Ville (Espace Cardin)
1 avenue Gabriel
75008 Paris
www.theatredelaville-paris.com
comment closed