© Aude Arago
ƒ article de Marguerite Papazoglou
Marine Brutti, Arthur Harel et Jonathan Debrouwer forment le collectif (La)Horde, en ascension exponentielle, bardé de coproductions prestigieuses et depuis peu à la tête du Ballet National de Marseille, repérés à plusieurs reprises et reconnus comme avant-garde de la danse contemporaine. Intuition, fulgurance et hardiesse auxquelles il serait bon d’ajouter un peu de circonspection car derrière une apparente nouveauté se profile peut-être la précipitation ou la répétition d’une formule.
Fruit d’un désir poursuivi depuis 2015, leur avant-dernière création Ta da bone portait sur scène le jump style. Marry me in Bassiani s’attaque aux enjeux de l’articulation entre les danses traditionnelles géorgiennes — d’une virtuosité et complexité époustouflantes et remontant à l’antiquité — et la culture techno, plus précisément à travers la jeunesse de la capitale, Bassiani étant apprenons-nous dans la feuille de salle le nom d’ « un club qui fait partie des plus grandes références européennes en matière de techno, fief de la mouvance LGBTQI+ et de contestation politique », à Tbilissi. Similitudes intéressantes entre jump-style, danse des webcam, et danses traditionnelles géorgiennes : outre le court-circuit de la mainmise institutionnelle, la transmission qui, au delà des pas, comprend posture, attitude, expression. De par cette transmission-identification, ces danses travaillent le lien social, le rapport de communauté. (La) Horde continue donc son chemin de traverse, vers une nouvelle géographie sans frontières, et c’est tout à leur honneur. Toute nouvelle eau est bienvenue contre la sécheresse, encore faut-il prendre la peine de la mener quelque part.
Un mariage s’annonce donc ! Grande table, socialités marquées, force portables et selfies, mariée triste, évidemment, parades en tout genres — nuptiales et de coups portés. Les danses festives où de fait le partage de la joie est lié au pouvoir symbolique et aux symboliques du pouvoir — il faut absolument voir ces danses martiales géorgiennes qui font littéralement étinceler les armes ! L’amour et la guerre, le lien aux ancêtres et la force subversive, tout y est dans cette « matière première ». A quoi vient se joindre un décor imposant, monument historique politique et une austère statue équestre, aussi quelconque l’un que l’autre, symboles parfaits. Dès le début (et peut-être à cause de ce début), la pièce s’inscrit dans une critique (assez consensuelle) du poids de ces liens sociaux traditionnels et plus ou moins vidés de sens, instaurant une distanciation ironique par rapport aux actions scéniques. Mais malheureusement ceci se cristallise, tel un sous-titre permanent, et devient un écran de froideur et d’inertie infranchissable.
Les danses menées par l’excellent ensemble Iveroni avec une énergie de feu et une grâce céleste, tournoyant, sautant, glissant sur le sol de leurs pieds légers sur demi-pointe, créant des rythmes aussi complexes qu’effrénés, d’une synchronicité parfaite, organique, sont rendues comme inopérantes. Elles restent en suspens sans espoir de toucher terre : à la fois mises à distance de leurs force et sacralité intrinsèques et lâchées par une mise en scène qui n’arrive pas non plus à s’inscrire et les mener ailleurs. Une théâtralisation omniprésente et envahissante qui saute d’une image à l’autre, reprend des éléments chorégraphiques, semble broder un instant mais lâche son fil… L’obstination à faire entrer une danse dans de la narration et en même temps échouer à trouver le moyen chorégraphique de cette narration, autrement dit, chercher à donner et à dire une transcendance à une danse et ne pas considérer celle qu’elle possède déjà, tel est le cœur du ratage.
Certaines scènes sont belles, les musiques excellentes, on a souvent l’eau à la bouche et pourtant rien n’arrivera à faire saillance pour briser l’inertie et faire enfin advenir quelque chose. Les danses, qui reviennent incessamment sans être retravaillées chorégraphiquement, avec la musique d’origine, puis sur du silence et de l’électro, s’épuisent. Non pas parce que nous ne pourrions les regarder soixante minutes durant mais justement du fait qu’ on les fait entrer dans le mode du dire et non plus de l’agir. Parmi ces rendez-vous manqués permanents, citons l’action du retournement de la table de mariage, table de la disparition des convives entre les jambes de la mariée (un renversement repris par la décapitation du roi par la dame, le déboulonnement de la statue, etc). Autant d’actions qui pourraient devenir princeps de la pièce, relativement à son propos, et qui pourtant se perdent au milieu d’un éclatement scénique qui n’est ici que dilution, laissant ces symboles, dans le meilleur des cas, à l’état de belles images isolées, comme celle de cette mariée qui n’en finit pas de fuir son destin au milieu de lignes de déboulés-torpilles bras tendus, ou à celui d’idées un peu cheap dans l’autre…
Marry me in Bassiani (LA)HORDE
Conception & mise en scène (LA)HORDE – Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel
Composition musicale Sentimental Rave
Design sonore Jonathan Cesaroni
Musique traditionnelle Tamaz Beruashvili, Aluda Janashvili, Davit Qavtaradze (musiciens), Zaza Gochitashvili (régisseur son), Tornike Gabriadze, Ciuri Mchedlidze (chant)
Mixage musique traditionnelle Bar Zalel, remixé par Zed Barski
Scénographie Julien Peissel assisté de Léa Chardin et Elena Lebrun Construction décors les ateliers du Grand T-Nantes
Conception lumières Patrick Riou et Boris Eisenmann
Assistants artistiques Lily Sato et Julien Ticot
Styliste costumes Juan Corrales en collaboration avec Y/PROJECT
Regard extérieur Jean-Christophe Lanquetin
Répétitrice Natia Chikvaidze
avec l’ensemble IVERONI et le maître de ballet Kakhaber Mchedlidze :
Interprété par Mari Bakelashvili,Tinatin Chachua, Vaso Chikaberidze, Natia Chikvaidze, Tornike Gabriadze, Giorgi Gasishvili, Tornike Gulvardashvili,Levan Jamagidze Nika Khurtsidze, Kakhaber Mchedlidze, Neli Mdzevashvili, Anzori Popkhadzew, Tamar Tchumburidze, Natia Totladze, Lali Zatuashvili
En alternance Gaga Bokhua, Khatuna Laperashvili, Giorgi Mikhelidze, Vano Natmeladze, Mariam Tsirdava
Du 16 au 19 octobre 2019 à 20h
Durée 1h15
Maison des Arts de Créteil
1 Place Salvador Allende94000 Créteil
Réservation au 01 42 74 22 77 et 01 45 13 19 19
www.theatredelaville-paris.com
www.maccreteil.com
Tournée
Les 22 et 23 novembre 2019 à 20h30
La Coursive – Scène nationale La Rochelle
4 Rue St Jean du Pérot
17000 La Rochelle
Réservation au 05 46 51 54 02 -03 -04
www.la-coursive.com
Le 28 novembre 2019 à 20h
Auditorium de l’Opéra de Dijon
Place Jean Bouhey
21000 Dijon
Réservation au 03 80 48 82 82
www.opera-dijon.fr
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