Critiques // « M’appelle mohamed Ali », de Dieudonné Niangouna, avec Étienne Minoungou, à la Maison des Métallos

« M’appelle mohamed Ali », de Dieudonné Niangouna, avec Étienne Minoungou, à la Maison des Métallos

Juil 24, 2015 | Commentaires fermés sur « M’appelle mohamed Ali », de Dieudonné Niangouna, avec Étienne Minoungou, à la Maison des Métallos

ƒƒ Article de Camille Scordia

mappellemohamed-aliUn orateur à la voix vibrante apparaît au centre des gradins, au beau milieu des spectateurs, et s’écrie simplement : « M’appelle mohamed Ali ». Vêtu d’un costume noir, l’alter ego de Mohammed Ali semble ainsi annoncer la couleur de ce qui va suivre: nous ne sommes pas ici pour assister à une représentation romancée de l’histoire du boxeur, mais bien pour en tirer ce qu’elle enseigne sur le racisme qui prévalait à son époque, plaie béante de nos sociétés et que les années n’ont pas refermée. Pour évoquer cela, le comédien Étienne Minoungou dévoile immédiatement sa posture : cette histoire est autant celle de Mohammed Ali que la sienne, et celle de tous les habitants de ce gigantesque continent malmené qu’est l’Afrique. Le récit se compose ainsi d’allers et retours entre les moments clés de la vie du boxeur _le plus marquant étant celui où il renonce à son titre de champion du monde en refusant de faire son service militaire au Vietnam, car « jamais un viêt-cong ne m’a traité de nègre »_ et les expériences d’Etienne Minoungou, son vécu d’homme noir, de comédien en Afrique. Comment faire de l’art, comment exister sur scène en Afrique ? En s’appuyant sur le destin de cette icône de la culture africaine, Etienne Minoungou interprète un texte de résistance sur l’identité africaine, ses questionnements passés, et les perspectives à venir.
M’appelle Mohammed Ali déjoue les codes et les genres du théâtre en fabriquant, en lieu et place d’une fiction, une forme hybride naviguant entre le conte, le one-man show, la confession et le manifeste politique. Brisant le quatrième mur, il se place au niveau de ses auditeurs pour les mettre nez à nez avec les clichés qui nourrissent, encore et toujours, le racisme ordinaire de notre société. Tous les stéréotypes de la figure du nègre sont passés au crible et déconstruits pour mieux mettre au jour cette idéologie de la supériorité de l’homme blanc, inscrite dans l’imaginaire collectif. Le comédien Étienne s’approprie, avec d’autant plus de sincérité que le texte du dramaturge Dieudonné Niangouna a été écrit pour lui, une écriture aux accents tantôt ironiques, tantôt très violents. Armé d’une rage non simulée, mais véritablement ancrée en lui, il s’emploie à faire tomber les tabous en revenant sur la honte de la Françafrique, de l’esclavage puis de la ségrégation raciale aux États-Unis, ponctuant son récit de références à la vie du boxeur. Celle-ci tient lieu de partie pour le tout, exprimant la frustration et la quête de légitimité d’une Afrique qui ne parvient pas à faire entendre sa voix dans la marche de l’Histoire.
Sans véritable construction dramaturgique, le spectacle laisse une place importante à l’improvisation, à travers une recherche permanente d’interaction avec le public. C’est là une de ses plus grandes forces: M’appelle Mohammed Ali vient chercher le spectateur replié dans sa posture d’observateur passif pour le faire interagir avec le comédien. Il s’agit de réfléchir et se questionner ensemble sur le passé, ce qui subsiste aujourd’hui, mais aussi les perspectives à construire pour réfléchir à une Afrique moderne. Dieudonné Niangouma fait de Mohamed Ali une figure allégorique du combat à mener pour donner aux Africains la possibilité de s’émanciper du passé. Il invente une forme nouvelle et la met dans les mains d’un interprète qui endosse son propre costume, en l’admettant lui-même: il ne “joue pas”, mais raconte sa propre histoire, qui rejoint l’universelle: l’histoire de la quête d’identité. Ce faisant, il met en exergue ce qui est, pour lui, la fonction essentielle du théâtre: questionner, résister et s’engager contre l’ignorance et l’obscurantisme.

© Olivier Blin

M’appelle mohamed Ali
Avec Étienne Minoungou
Texte Dieudonné Niangouma
Mise en scène et scénographie : Jean Hamado Tiemtoré
Coach artistique François Ebouele
musique Julien Truddaïu
Lumière Rémy Brans, Hermann Coulibaly
production : compagnie Falinga
avec le soutien du Théâtre Le public et de la Charge du Rhinocéros
Du 21 au 25 juillet 2015 à 19h
Maison des Métallos
94 rue Jean-Pierre Timbaud
01 47 00 25 20
www.maisondesmetallos.org

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