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« Manger », de Boris Charmatz au Théâtre de la Ville / Festival d’Automne à Paris

Déc 03, 2014 | Commentaires fermés sur « Manger », de Boris Charmatz au Théâtre de la Ville / Festival d’Automne à Paris

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Manger, mâcher, mastiquer, avaler, cracher, recracher, ingurgiter, régurgiter, déglutir, saliver, vomir, digérer. Corps affamés, corps repus, corps dilatés. Chanter, éructer, hurler, murmurer, haleter, souffler. La dévoration, le chant, acte de danse. Acte performatif où Boris Charmatz explore, déplaçant le centre de gravité de la danse, ce qu’induit cet acte de la dévoration. La danse est comme, oui, dévorée et ce qui danse est de fait à l’intérieur. Une danse organique. La danse suit ce mouvement, d’être avalée, digérée, recrachée. Un mouvement, une circulation intestine, en boucle. Le danseur crache sa danse préalablement ingérée, digérée. Bientôt le corps tout entier, livré au spasme de la mastication forcenée, boulimique, et du chant s’offre à la danse jusqu’à la transe, en un mouvement qui se répète jusqu’à l’épuisement, l’indigestion. Jusqu’à l’autodévoration. Jusque sa propre disparition. Le danseur, concentré et attentif, observe le mouvement induit par cette action de manger, de chanter. Sa danse, il la mâche, la mâchouille, la mastique, l’engloutit, la recrache. Idem son chant qui accompagnant la mastication, lui offrant un son inédit, du canon aux cris bachiques, de Josquin Des Prez à Sexy Sushi, jusqu’au murmure, finit par s’éteindre mais donne la mesure des métamorphoses qui adviennent et se succèdent. C’est un corps au travail, dans l’expérimentation du mouvement parfois à peine visible, invisible même. Le danseur est dans la performance, dans l’instant. Tout entier à ce mouvement. Sensible à la moindre variation de sa bouche ouverte ou fermée, pleine ou vide, muette ou sonore. C’est une danse organique, danse tripale, tribale. Acte individuel et communautaire tout à la fois, manger est aussi la métaphore de la danse qu’un nouvel et formidable espace ouvert par le chorégraphe. (Ce que le butô n’ignorait pas qui avait déjà et dans ce sens ouvert la voix.) Acte brut et mécanique mais d’une sensualité ardue et terrifiante qui transforme le corps dévorant de l’intérieur avant de le projeter vers l’extérieur. Acte politique aussi. La faim, ou la surconsommation sont aussi une situation qui transforme le corps individuel, social et communautaire. Boris Charmatz n’oblitère pas non plus cette dimension-là qui distingue manger de consommer. La violence faite au corps est dans cette consommation parfois obligée, effrénée ou non, dans l’acte de manger en lui-même. Dis-moi ce que tu manges, comment tu manges, je te dirai ce que tu es. La danse traduit aussi cela que le chant en échos confirme. Ce n’est pas une danse spectaculaire, scandaleuse, mais une danse vitale, organique, charnelle, qui interroge le corps et ses possibles, même les plus triviaux. En ce sens et par cet engagement, intime comme politique, elle est indispensable.

« Manger »
conception et chorégraphie de Boris Charmatz
Avec Or Avishay, Matthieu Barbin, Nuno Bizarro, Ashley Chen, Olga Dukhovnaya, Alix Eynaudi, Julien Gallée-Ferré, Peggy Grelat-Dupont, Christophe Ives, Maud Le Pladec, Filipe Lourenço, Mark Lorimer, Mani A.Mungai, Marlène Saldana,
Lumières, Yves Godin
Son, Olivier Renouf
Arrangements et travail vocal, Dalila Khatir
Assistant à la chorégraphie, Thierry Micouin
Régie Générale, Mathieu Morel
Régie Lumière, Fabrice le Fur
Habilleuse, Marion Régnier

Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet
75004 Paris
Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville.com

Festival d’Automne à Paris
Réservations 01 53 45 17 17
www.festival-automne.com

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