© Jean-Louis Fernandez
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Makbeth avec un K. Comme Kollosal, comme khaos, comme Kitsch, comme katharsis… Munstrum revisite la pièce écossaise du grand Willy et comme à son habitude chamboule absolument tout. C’est du sang pour sang gore, c’est Shakespeare au Grand-Guignol. D’entrée nous sommes prévenu, ça va saigner sévère ! Dix minutes d’une bataille assourdissante en ouverture de rideau, où l’on ne sait pas très bien qui est qui dans cette lande envahie d’un brouillard profond troué de salves éblouissantes, traversé d’ombres soldatesques hurlantes et comme dépecées au hachoir, tripes en mains, quand les bras ne sont pas arrachés, d’où émerge dégueulant le sang, Macbeth. Et l’annonce de son avènement futur, être roi, entraîne dès lors la barbarie. Munstrum rabote l’œuvre originale à l’os pour ne se concentrer, outre le bruit et la fureur, que sur le couple infernal, Macbeth et Lady Macbeth, acharné et les nerfs à vif à concrétiser une prophétie qui les aveugle…
Tout dans cette mise en scène est outrage, outrance. Grotesque, burlesque, clownesque, farcesque… qui n’est que l’hyperbolique de toute tragédie. C’est fort malin, juste et pas très loin du théâtre Elisabéthain dans sa brutalité rêche et sa théâtralité exacerbée. Sans jamais désamorcer la charge vénéneuse de cette pièce que l’on dit maudite, lui offrant même une touche glacée d’humour noir et de pure poésie trash, Louis Arène cristallise ce qui gangrène Macbeth jusqu’à la pourriture, la peur. Peur, du pouvoir en lui-même, de sa représentation, et peur de la perte. Une peur viscérale qui sourd lentement et finit par tout envahir, mener aux pires extrémités, à la folie furieuse. Et plus la peur avance, aveuglant le couple maudit, révélant la part la plus monstrueuse en eux, plus la mise en scène prend sacrément ses aises, devient l’expression pure d’un cauchemar poissé d’hémoglobine où l’esthétique singulière de la compagnie Munstrum fait merveille dans la démesure volontaire qu’on lui connait, jusque dans le jeu expressionniste que l’utilisation du masque densifie par son étrangeté. C’est grandiose avec trois fois rien, voire même de la récup, ici règne l’illusion absolue, le trop-plein par le vide, le trompe-l’œil baroque. Un sens foudroyant de l’image jamais ébarbée, rugueuse, qui trouve ici avec son sujet et sa férocité un plein épanouissement. Il y a une vraie jubilation à s’affranchir du bon-goût, à traduire et à jouer de scènes en scènes de l’effroi provoqué dans une joyeuse et terrifiante surenchère. Le rire qui vous étrangle pue la catharsis. Le son lui-même ici a son importance, de grondements explosifs en stridences crissantes, ajoutant à la terreur qui nous prend peu à peu, nous aussi.
Bientôt le roi est nu, simplement voilé du sang coagulé de ses victimes, nu et tragiquement seul qui ne possède plus qu’une couronne vacillante, que lui arrache son fou, et un royaume exsangue. Une image finale d’une grande force, comme d’autres égrenant cette création crépusculaire et flamboyante, concluant avec maestria une vision tout aussi ubuesque que kafkaïenne (encore un K) du pouvoir et de cette pièce dont Munstrum offre une vision spectaculaire, au sens premier du terme. Cet édifice monstrueux et horrifique tient évidemment et aussi à ses acteurs ne débordant jamais du cadre imposé avec rigueur. Le chaos n’autorisant jamais le n’importe quoi, tous sont exceptionnels dans cette partition physique, cette transe dévastatrice, qu’ils tiennent sans faillir et la bride au cou. A commencer par Macbeth et Lady Macbeth soit Louis Arène et Lionel Lingelser, couple gémellaire, un même masque, hydre à deux têtes s’enfonçant inexorablement dans le crime, pataugeant dans le sang sans barguigner, au prétexte de pacifier un royaume qu’ils usurpent bestialement. Delphine Cottu, Duncan obèse pesant et cadavre aux exhalaisons puantes. Erwan Darlet, fou démoniaque et maître des basses-oeuvres tirant à pile ou face le destin de ses victimes. Enfin Sophie Botte, Olivia Dalric, Anthony Martine et François Praud, vivants en sursis, tous forment une jubilante et grotesque danse macabre dans laquelle le spectateur pris de vertige ne peut que capituler, rendre les armes devant ce cataclysme imposé avec force et un talent monstrueux.
© Jean-Louis Fernandez
Makbeth, une création du Munstrum Théâtre, d’après William Shakespeare
Mise en scène de Louis Arène
Avec : Louis Arène, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud, Erwan Tarlet
Conception : Louis Arène et Lionel Lingelser
Traduction/adaptation : Lucas Samain en collaboration avec Louis Arène
Collaboration à la mise en scène : Alexandre Ethève
Chorégraphie : Yotam Peled
Dramaturgie : Kevin Keiss
Assistanat à la mise en scène : Maëliss Le Bricon
Scénographie : Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin, Valentin Paul, Louis Arène
Création lumières : Jérémie Papin, Victor Arancio
Musique originale & création sonore : Jean Thévenin, Ludovic Enderien
Costumes : Colombe Lauriot Prevost assistée de Thelma Di
Masques : Louis Arène
Coiffes : Véronique soulier Nguyen
Direction technique, construction, figuration : Valentin Paul
Effet de fumée et accessoires : Laurent Boulanger
Accessoires, prothèses & marionnettes : Amina Rezig , Céline Broudin, Louise Digard
Renforts accessoires & costumes : Marion Renard, Agnés Zins, Ivan Terpigorev
Stagiaires costumes : Angèle Glise, Morgane Pegon, Elsa Potiron, Manon Surat, Agnés Zins
Stagiaire lumière : Tom Cantrel, Gabrielle Fuchs
Fabrication costumes avec le soutien de l’atelier des Célestins, Théâtre de Lyon
Création de la toile Le ciel orangé, Christian Fenouillat pour La Trilogie de la villégiature ms par Claudia Stavisky
Jusqu’au 15 mai 2025
Du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h
Relâche le dimanche et les jeudis 1er et 8 mai
Théâtre Public de Montreuil
10 place Jean-Jaurès
93000 Montreuil
Réservations : 01 48 70 48 90
www.theatrepublicmontreuil.com
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