© Fred Debrock
fff article de Denis Sanglard
Création déroutante de Benjamin Abel Meirhaeghe, artiste de l’avant-garde flamande – et l’on sait combien celle-ci est d’une inventivité radicale et passionnante -, contre-ténor, performer et metteur en scène, lequel présente à la Villette une œuvre énigmatique, d’une beauté aride et sensuelle tout à la fois. Et il faut accepter ça, d’être ainsi bousculé, pour entrer pleinement dans cette performance qui d’emblée vous agrippe, non par sa violence, c’est tout l’inverse, mais par sa proposition qui voit sur le plateau des interprètes nus comme au premier jour de notre humanité, rien de scandaleux là-dedans, se réapproprier les madrigaux d’amour et de guerre de Monteverdi revisité par le compositeur Jesse Kanda (ayant collaboré entre autre avec Björk) , sous le signe d’une communauté comme affranchie de toute modernité, dans un étrange rituel tribal plus proche du paradis originel rêvé que de la barbarie contemporaine. Alors que semble gronder le chaos et la violence du monde extérieur, le plateau est une grotte protectrice, matricielle, où semble se réinventer des liens de fraternité exempts de toute agressivité. Et dans laquelle une voix proche du cris aigu d’un oiseau qu’on imagine exotique, ou venu du fond des âges, nous invite à entrer comme on entrerait au fond de nous-même, à la recherche de nos origines premières. Grotte pariétale, de Platon ou des mystiques rupestres, c’est la même interrogation, la même réinvention, la même méditation sur le monde qui est à l’oeuvre. Benjamin Abel Meirhaegue visiblement inspiré par les tableaux de la renaissance flamande, réinvente un paradis sans artifice dans lequel s’ébattent, dansent et batifolent les interprètes, image d’une innocence et d’une pureté retrouvée, voire une certaine animalité où s’estompent les frontières entre l’humain, la nature et le divin pour une communion qui se voudrait absolue. Au demeurant excellents chanteurs, ils s’adonnent ainsi à une douce cérémonie qui les voit calmement autour d’un feu réchauffer et tisser des liens (jusque dans sa forme extrême et comme littérale en pratiquant le Shibari), et bientôt se réunir autour d’une même source pour se purifier ensemble. Le théâtre est le lieu de toute utopie et c’est dans cette utopie des origines réinventée, cette tentation du point zéro de notre humanité pensé par Jérôme Abel Meirhaeghe que la musique de Monteverdi s’épanouit en toute liberté où l’amour et la guerre ne sont plus qu’évocation, une seule et même énergie, un chant qui relie les hommes entre eux. A quoi se résume parfois la beauté d’une œuvre ? A son mystère qui défie comme ici toute tentative d’explication. On a beau écrire ce qui prècéde, il y a quelque chose d’irrésolue qui résiste malgré tout, rien qu’on ne puisse expliquer mais qui, tel un pôle magnétique, vous attire et vous poigne sans façon. Il y a de ça ici où toutes préventions tombent d’elles-mêmes, où l’on reste simplement admiratif et coi devant une création qui ne demande rien d’autre que de se laisser porter par elle.
© Fred Debrock
Madrigals (Monteverdi), conception et réalisation de Benjamin Abel Meirhaeghe
Composition : Doon Kanda (aka Jesse Kanda), Claudio Monteverdi
Direction musicale et co-composition : Wouter Deltour
Dramaturgie et recherche : Louise Van den Eede
Scénographie et et création lumière : Zaza Dupont, Bart Van Merode
Co-commissariat œuvres d’art : Koi Persyn
Chorégraphie en collaboration avec les performers : Sophia Rodriguez
Coaching musical : Pieter Theuns
Coaching vocal : Rosanne Groeenendijk
Coaching Shibari : Marc Beshibari
Interprétation : Hanako Hayakawa, Els Mondelaers, Lucie Plasshaert, Khaled Barghouti, Clément Corillon, Victor Dumont, Antonio Fajaro, Alice Giuliani
Musique : Madoka Nakamaru, Wouter Deltour, Pieter Theuns, Rebecca Huber
Artistes visuels : Anthony Ngoya, Che Go Eun, Christiane Blattmann, Daan Couzijn, Filip Anthonissen, Gilles Dusong, Justin Fitzpatrick, Nokukhanya Langa, Sanam Khatibi, Thomas Renwart, Tom Hallet, Tristan Bründler
Costumes : Kasia Mielczarek
Teaser et making off : Charles Dhondt
Photographie de la cave : Thibaut Lampe
Webdesign : Studio.dier
Direction de production : Sebastien Peeters, Laura Arens
Régissuer plateau : Arthur de Vuyst
Technicien lumière : Danielle Van Riel
Technicien son : Karel Marynissen, Bart Celis
Technicien vidéo et sous-titres : Pieter-Jan Buelens
Techniciens : Pat Caers, Janneke Donkersloot, Kevin Deckers, Lars Morren
Assustante technique : Peter Quasters, Anne Van Es
Assistant de production : Pablo Gonzales
Assistant de direction : Ika Schwanders
Le 14 et 15 avril 2023 à 20h30, le samedi à 19h30
La Villette
211 avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Réservation : 01 40 03 75 75
comment closed