© Stefan Brion
fff article de Denis Sanglard
Ils sont morts et peut être l’ignorent-ils encore. Passés dans l’Outre-Monde, harcelés et manipulés par les trois Sœurs bizarres, sous l’injonction d’Hécate et sous la surveillance du Portier des Enfers, hantés par l’Enfant, celui qu’ils eurent peut-être jadis à moins qu’il ne soit celui de Lady Macduffe, poursuivis par le spectre de Banco, Lady Macbeth et Macbeth sont condamnés à revivre encore et encore leur folie funeste et meurtrière. Comme au théâtre, comme dans la vie, on rejoue les scènes. Celle de la venue du roi, de son meurtre et de sa découverte. La scène du banquet et la confrontation avec le fantôme de Banco. La folie de Lady Macbeth, orchestrée ici par le Portier, et sa mort. La réalisation de la prédiction, la forêt qui s’avance, et Macbeth en proie au remord. Mais ici, c’est l’Enfant qui tue Macbeth.
Tout ici n’est qu’hallucination visuelle et sonore. Une plongées dans les enfers de l’inconscient de deux meurtriers où ne resteraient que des souvenirs obsessionnels en lambeaux, arrachés à une réalité devenue confuse, cauchemardesque et macabre. Opéra sur la culpabilité ressassée à l’infini que nulle rédemption ne peut apaiser.
Le livret de Frédéric Boyer n’est pas une ultime adaptation de la tragédie éponyme de Shakespeare. C’est un palimpseste, un poème noir, une sombre et tragique féerie. Son texte, miroir brisé d’une œuvre dont il ne reste que des éclats épars, exprime tout le suc de l’œuvre originale, son essence, les arcanes souterrains qui l’infusent et le drainent et avec lesquels il sédimente les motifs de son formidable et poétique livret. Auquel il adjoint extraits de la Bible et épitres de St Paul, citations de Lewis Caroll. C’est aussi une rêverie à deux. Lui et Pascal Dusapin ont imaginé et porté cette œuvre ensemble. La partition du compositeur semble indissociable du récit et de la langue choisie, l’anglais. Rejoignant ainsi la tradition de l’Opéra-Comique et de l’importance accordée au langage qui ici fait corps avec la musique, s’il n’est pas lui-même musique. C’est une oeuvre fortement et volontairement théâtrale, au-delà de son sujet même et de par son traitement. La partition de Pascal Dusapin est riche, savante et complexe et pourtant il y a quelque chose d’immédiat, de sensible qui nous atteint sans effort. Pascal Dusapin aussi joue des sédimentations pour offrir une portée plus universelle au récit, faisant un pont entre l’Angleterre du 16éme siècle et notre époque contemporaine. Il y a du baroque, signant la source de l’œuvre originale, des chants écossais traditionnels, d’anciennes berceuses, de l’orgue, des maracas et des crécelles, des cloches et des tambours… un archiluth, emblématique instrument élisabéthain. Un requiem pour couronnement d’un couple maudit. On y entend le chant funeste d’oiseaux, la chouette, le crissement d’un grillon. Le tonnerre y tombe et la pluie gronde. Il ne s’agit pas pour autant d’illustration mais d’être véritablement au plus près à la fois du destin et de l’inconscient des personnages comme de dessiner un paysage sonore original, espace mental propre à cette sombre et spectrale fantasmagorie. Et c’est une réussite absolue, brillante.
La mise en scène de Thomas Jolly, familier de l’univers de Shakespeare, est au diapason. Baroque et théâtrale en diable, mais exercice de style exemplaire de par sa sobriété et cette volonté tenace et rare d’être au plus près du livret et de la partition sans jamais assécher sa propre imagination. La forêt mouvante, aux arbres tortueux propices aux mystères sacrés et aux apparitions, aux disparitions, le haut château maudit, ses escaliers spiralés, tourmentés, et sa porte monumentale ouvrant vers les enfers, la chambre des époux avec en son centre un lit bientôt funèbre, barque de Charon conduite par l’Enfant… Huit tableaux hypnotiques alternent ainsi avec fluidité, élégance, par la grâce d’un plateau tournant, qui métamorphosent l’espace devenu mouvant et meuble, enchaînant nos amants maudits dans la réitération infinies de leurs actes monstrueux et du remord infernal. Monde d’outre-monde, par force outre-noir, tout ici est enténébré, que déchirent de rares éclairs éclatantes, laser d’une blancheur crue, traversé par de fantomatiques et pales personnages, condamnés, Lady Macbeth et Macbeth, hagards et que les miroirs ne reflètent plus. Seule la mort offrira une ultime touche de couleur. Rouge sang.
La mezzo-soprano Katarina Bradic, Lady Macbeth, pourtant annoncée souffrante, dans le rôle-titre est impressionnante tant sur le plan vocal que dans le jeu, présence hallucinée s’enfonçant sans fin dans la folie. Le Baryton Jarret Ott, Macbeth, brille également par son engagement total, voix puissante et incarnation troublante, un personnage aux confins de la démence, aliéné par le remord. John Graham Hall, Hécate / Le Portier, travesti en bouffon élisabéthain, diable roux comme sont rousses les trois Sœurs bizarre (Melissa Zgouri, Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert) si indissociables que leur trois voix n’en font presqu’une, ces quatre-là dirigés au cordeau, comme l’ensemble de la distribution, sont parfaits en âmes damnés du couple, Erinyes infernales. Hiroshi Matsui, Le Fantôme, a la voix aussi grave que sa présence hiératique voire monolithique. Le chœur Accentus, plateau féminin, mêle sa voix aux trois sorcières pour un requiem à faire froid dans le dos. Une distribution vocale magistrale donc dirigé depuis la fosse par Franck Ollu qui mène l’orchestre de l’Opéra National de Lyon avec grande précision et offre à cette partition ardue une ampleur dramatique remarquable toute de contraste et de nuance.
© Stefan Brion
Macbeth Underworld, opéra en 8 chapitres de Pascal Dusapin, livret de Frédéric Boyer
Direction musicale : Franck Ollu
Mise en scène : Thomas Jolly
Reprise de la mise en scène et dramaturge : Katia Krüger
Collaboration à la mise en scène : Alexandre Dain
Décors : Bruno de Lavenère
Costumes : Sylvette Dequest
Lumières : Antoine Travers
Assistant musical : Joseph Planells Schiaffino
Chef de chœur : Richard Wilberforce
Chef de chant : Yoan Héreau
Professeur de chant (maîtrise de l’Opéra-Comique) : Dorothée Voisine
Avec : Katarina Bradic, Jarett Ott, Maria Carla Pino Cury, Mélanie Boisvert, Melissa Zgouri, Hiroshi Matsui, John Graham Hall, Rachel Masclet
Musique de scène : Paul Serri (violoneux), Sabine Tavenard (piccolo), Illya Amar / Anne Briset (percussionnistes de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon)
Musique de coulisses : Caroline Delume (archiluth)
Figurants : Adhal Bara, Geoffroy Boissy, Alexander Espinosa Correoso, Michael Guevara, Adrien Minder, Aurélien Piffaretti, Gabriel Soler, Kim Tassel
Orchestre : Orchestre de l’Opéra de Lyon
Chœur : Accentus
6, 8 et 10 novembre à 20h
12 novembre à 15h
Opéra-Comique
Place Boieldieu
75002 Paris
Réservation : 01 70 23 01 31
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