ƒƒƒ article de Denis sanglard
Brett Bailey, metteur en scène et dramaturge sud-africain, s’empare de l’opéra Macbeth de Verdi, et offre une version proprement hallucinatoire. Dégraissant l’œuvre de toute lourdeur opératique et avec le concours heureux de Fabrizio Cassol, il offre une œuvre resserrée autour du couple infernal Macbeth. Une œuvre à vif aux résonnances africaines. Situant l’action au cœur de la République Démocratique du Congo, c’est toute l’horreur de la guerre civile qui ravage une population, la folie dictatoriale de généraux aux mains couvertes de sangs, des milices qui se succèdent, l’implication des puissances économiques étrangères, multinationales qui, finançant les factions locales et le pouvoir, pillent sans vergogne les richesses d’un pays exsangue, qui sont ainsi dénoncées.
Brett Bailey enfonce le clou mais évite toute grandiloquence, toute démonstration. C’est fait avec trois fois rien, une estrade de taule, quelques accessoires de bric et de broc, une vidéo en toile de fond où des wax colorés aux motifs africains suffisamment explicites se succèdent. Des photos aussi, de celles qui vous collent à la rétine et ne vous lâchent plus. Enfants guerriers, corps meurtris ou pourrissant et le regard insondable de celui qui a vécu l’innommable qui vous poursuit longtemps encore après*. Un orchestre à cour, un chœur à jardin. Voilà pour l’essentiel. Les tableaux se succèdent, s’enchaînent, presque statiques. Comme autant de vignettes ou d’instantanés, images naïves pour hagiographies profanes ou livres d’histoire illustrés. Ça va vite, c’est tout en retenue, c’est extrêmement tendu et serré. Les images frappent par leur justesse et leur économie. C’est glaçant. Le regard rigoureux et critique – distancié même et c’est tant mieux – de Brett Bailey démonte froidement toute la mécanique d’un pouvoir qui s’affole et sombre dans la folie la plus sanguinaire. Macbeth et sa femme sont les jouets des rivalités entre factions mais aussi déstabilisés par les sorcières qui, ici, ne sont que les représentantes des multinationales qui saignent le pays, financent et manipulent les milices. Même les oiseaux, ironiquement, portent leurs logos.
Lucide, le metteur en scène ne s’arrête pas à la mort des protagonistes. L’air fameux du troisième acte, « Patria Oppressa », est ainsi déplacé. Il ouvre et clôt l’enfer dans lequel nous sommes plongés. Une faction chassant l’autre, rien jamais ne peut être résolu. Et derrière dansent les sorcières. C’est tout le tragique de l’histoire du Congo entre meurtres, viols, déplacements de populations… que quelques images qui vous prennent à la gorge, de simples vêtements éparpillés, dénoncent avec efficacité. Un cycle infernal dans lequel les Macbeth sont aussi pris au piège, bourreaux et victimes, aveugles et aveuglés.
Mais cette création ne serait pas aussi éclatante s’il n’y avait cette troupe de chanteurs-acteurs. Tous engagés voix et corps, voix et âmes, dans cette aventure sans concession. A commencer par le couple Macbeth. Leur ascension et leur chute, leur rapacité et leur folie sont incarnées avec une vérité terrifiante sans caricature ni enflure propre à l’opéra. La voix large et puissante, d’une expressivité qui vous souffle par sa vérité, associée à leur jeu nuancé et juste, si juste qu’ils en sont effrayants – formidable direction d’acteur – vous happe et ne vous lâche plus. Mais qui est donc Nobulumbo Mngxekeza (Lady Macbeth) qui vous crame par son talent et cette incarnation insensée – tant vocale que physique – qui fait d’elle une First Lady ambitieuse et hallucinée, aveuglée par le pouvoir, si vulgaire et bling-bling au fait de sa puissance, bientôt rongée par la folie ? Il faudrait les nommer tous. Car ce qui frappe c’est bien la cohérence de l’ensemble, cette unité, cette troupe qui, avec peu mais grand talent, fait corps et dénonce l’horreur d’une situation, cette persistance destructrice des relations économiques post-coloniales qui entraînent le chaos et l’éradication sans fin d’un pays. A travers le couple de Macbeth, devenu le mythe de toute dictature par le regard acéré de Brett Bailey, c’est toute la question de l’Afrique assujettie à l’occident, aux intérêts économiques et politiques, qui est posée.
*photographies de Marcuus Bleasdale et Cedric Gerbehaye qui ont photographié le conflit au Congo.
Macbeth, Opéra de Verdi
Conception et mise en scène Brett Bailey, This world Bun-Finght
Musique Fabrizio Casso, d’après Macbeth de Verdi
Direction musicale Premil Petrovic
Lumière Felice Ross
Chorégraphie Nathalie Fisher
Avec Owen Metsileng (Macbeth), Nobulumbo Mngxekeza (Lady Macbeth), Ebenezer Sawuli (Banquo), et les chanteurs d’opéra Sandile Kamle, Jacqueline Manciya, Monde Massimi, Siphesihle Mdena, Bulelani Madondile, Philisa Sibeko, Thomakazi Holland,
Et le No Borders OrchestraNouveau Théâtre de Montreuil – Centre Dramatique National
10, place Jean Jaurès – 93100 MontreuilDu 19 au 22 novembre 2014 à 20h30
Réservations 01 48 70 48 90
www.nouveau-theatre-montreuil.comLa Ferme du Buisson – Scène Nationale de Marne la Vallée hors les murs
Allée de la ferme – 77186 Noisiel
Les 25 et 26 novembre 2014 à 20h45
Réservations 01 64 62 77 77
www.lafermedubuisson.comFestival d’Automne à Paris
01 53 45 17 17
www.festival-automne.com
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