À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // M comme Médée, adaptation et mise en scène d’Astrid Bayiha, d’après des œuvres de Jean-René Lemoine, Dea Loher, Sara Stridsberg, Sénèque, Jean Anouilh, Heiner Müller, au théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes

M comme Médée, adaptation et mise en scène d’Astrid Bayiha, d’après des œuvres de Jean-René Lemoine, Dea Loher, Sara Stridsberg, Sénèque, Jean Anouilh, Heiner Müller, au théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes

Nov 09, 2023 | Commentaires fermés sur M comme Médée, adaptation et mise en scène d’Astrid Bayiha, d’après des œuvres de Jean-René Lemoine, Dea Loher, Sara Stridsberg, Sénèque, Jean Anouilh, Heiner Müller, au théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes

 

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒ article de Sylvie Boursier

Médée, fille du roi de Colchide détenteur de la Toison d’Or, est une puissante magicienne. Lors de la venue des Argonautes en Colchidie, elle tombe éperdument amoureuse de Jason. Elle l’aide alors dans sa recherche de la Toison d’or. Y étant parvenus, Médée s’enfuit avec lui après avoir assassiné et dépecé son propre frère, le début d’une longue série sanglante. Le couple se réfugie à Corinthe où ils auront deux enfants. Au bout de quelques années, Jason répudie Médée pour épouser la fille du roi. Elle tue alors la prétendante, incendie le palais et égorge ses propres enfants avant de se donner la mort.

Médée peut être considérée comme un « monstre », une folle furieuse. Pourtant, ses actes ne sont pas motivés par une folie spontanée, mais par une souffrance amoureuse. Le mythe n’a cessé de fasciner et de générer des relectures modernes. Accuser Médée d’être folle, c’est prétendre que la violence dont elle est accusée n’a pas sa place dans une société humaine. C’est une façon pratique d’affirmer l’innocence des hommes, sans reconnaître leur violence, celle dont Jason fait preuve en la trahissant et en la forçant à l’exil.

Sur ce fil conducteur Astrid Bayiha tisse un medley, trois Médée et trois Jason se font écho, la Médée de Jean René Lemoine côtoie celle d’Euripide, de Sénèque, d’Anouilh et d’Heiner Muller comme si Médée se diffractait à l’infini, tant que dure la passion. Cette histoire n’a pas ni début ni fin, nous sommes toutes et tous des Jason en puissance, dépassés par des femmes fortes, des Médée victimes de violences masculines, de trahisons, contraintes à l’exil, incarcérées et seules, infiniment seules.

Les lumières sculptent la narration scénographique. Dans le clair-obscur des aplats caravagesques, le noir inspiré de l’esthétique baroque souligne le monde des esprits, les fantômes qui nous hantent, les enfants de Médée, le gisant de son frère égorgé de ses propres mains, le vaisseau fantôme qui l’entraîne d’exil en exil vers sa dernière demeure. Un coryphée interprété par Nelson Rafaell Madel rythme les entrées et les sorties des comédiens, médiateur et figure centrale d’une cérémonie dont on pressent le compte à rebours vers l’issue inexorable ; il accompagne les personnages, les soutient et les incite à continuer coûte que coûte. La composition du comédien à la voix chaude de baryton est magistrale. Son duo avec la chanteuse Swala Emati sur une mélopée créole nous enveloppe tandis que la gestuelle ritualisée des acteurs met en valeur la poésie des textes, accentue les effets rhétoriques ou comiques. Une mention spéciale à Daniely Francisque , une grande Médée qui réclame son dû avec un abattage de reine.

L’histoire mérite d’être connue en amont pour apprécier le spectacle à sa juste valeur et on est un peu perdus par moment. Heiner Muller n’a pas la force poétique d’un Euripide et les enchaînements de l’Antiquité à nos jours manquent de fluidité. Mais la prise de risque d’Astrid Bayiha force le respect, sa mise en scène et sa direction d’acteurs sont justes de bout en bout, les mots d’Artaud lui vont si bien, « fournir au spectateur des précipités véridiques de rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire, mais intérieur. » Bravo !

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

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Mise en scène : Astrid Bayiha

Lumières : Jean-Pierre Népost

Costumes : Emmanuelle Thomas

Musique : Swala Emati

Avec : Fernanda Barth, Jann Beaudry, Valentin de Carbonnières en alternance avec Anthony Audoux, Nelson-Rafaell Madel, Josué Ndofusu, Daniély Francisque, Swala Emati

 

Durée : 1h45

Jusqu’au 25 novembre 2023, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h

 

Réservation :

01 43 28 36 36

www.cartoucherie.fr

 

 

 

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