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Lumières du corps, de Valère Novarina, mis en scène et interprétation de Marcel Bozonnet, au Théâtre du Soleil

Jan 19, 2024 | Commentaires fermés sur Lumières du corps, de Valère Novarina, mis en scène et interprétation de Marcel Bozonnet, au Théâtre du Soleil

 

© Laurencine Lot

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

A l’arrière du plateau, un homme est assis dans un couloir surgi d’on ne sait où. Comme une brèche bleutée dans le mur du monde, ce couloir a fait irruption, muette entame pareille à un parafe. Ce bleu : une giclée d’encre claire, aussi soudaine et lumineuse qu’un acteur au seuil de la scène. Ici, entendons-nous bien, les mots veulent dire quand ailleurs et souvent ils ne veulent plus rien dire, les phrases ne filent pas la métaphore mais bien la laine de la matière, le langage n’est pas une vue de l’esprit, ne fait pas dans l’imagerie éthérée mais se leste du poids de la chute. Lumières du corps est empreint de la loi de la gravité. Le théâtre de Valère Novarina est une physique, c’est pour cela qu’il nous meut aussi pleinement lorsque les conditions de son accomplissement sont réunies. Son acteur est un artisan capable de façonner le monde par la puissance de la profération, il est un homme du faire, homme à tout faire : faire silence, faire le noir comme par exemple cette surprenante leçon de ténèbres en guise d’introït. Nous plongeant dans l’obscurité, il nous subjugue par cet ironique pied de nez au troisième verset de la genèse: Je voudrais qu’on éteigne la lumière sur le théâtre maintenant.

Une table, une étole de soie orangée posée dessus, une flèche rouge tracée sur un mur blanc, quelques ampoules nues suspendues, la dépouille d’un corps enveloppé d’un linceul, un acteur vêtu d’une tunique et d’un pantalon noirs : l’espace de Lumières du corps est celui du détachement des corps. Comme dans un tableau de Miró, comme dans une peinture primitive, les formes s’inscrivent dans un aplat, espèce d’espace désaffecté. Marcel Bozonnet, avec pertinence, dresse le vide comme un monde en soi, revient au désert du prophète. C’est un espace de projection qui ne renie aucunement sa matérialité, sa littéralité. Exit le deus ex machina, vive le vide, qui n’est, comme le rappelle Novarina, qu’une autre façon d’assembler les lettres qui inventèrent DIEU.

D’où vient que Marcel Bozonnet nous apparaît tel Saint-Jérôme dans son étude ? D’une tête d’homme tenue à bout de bras ou de sa présence au monde qu’il semble porter lui-même comme ce crane sans défaillir et qu’il déploie bien au-delà du cadre de la scène ? Concentration et volonté du faire et du dire résultent en ce que ses faits et gestes, ses paroles, se détourent comme une eau-forte. L’acteur se fait le gage du monde, il est le porte-parole d’une poésie qui est le prolongement du choc répété d’un couteau sur une assiette de porcelaine. Pour ce magnifique texte aux allures de manifeste théâtral, progressant par bribes, formant ses constellations, Marcel Bozonnet a le don de convoquer à la fois le vieil acteur de théâtre et l’éternelle jeunesse de son art. De cette nature double, il tire sagesse et lutinerie. Son corps glorieux porte la mémoire de ses personnages passés, comme les mots celle de leurs usages. D’autres que lui dérouleraient cette partition face public au risque du sermon mais au prisme de leur nombril. Marcel Bozonnet choisit au contraire le profil sur la plus grande partie de la pièce ouvrant un espace de réception plus vaste que dans une adresse directe qui ne manquerait de s’essouffler. Cette forme de retrait, justesse esthétique et éthique, cette orientation physique, donnent encore plus à percevoir la matérialité du langage, sa force atmosphérique modulant l’espace comme un climat. Car le théâtre, et particulièrement celui de Valère Novarina, est une caisse de résonnance où les mots ricochent entre les parois du sens et du son, indistinctement. Marcel Bozonnet, virtuose et sensible horloger, scande leur musique par des volées déclamatoires d’un bois toujours vert, sans jamais rien perdre du poids des mots, lyrique et prosaïque. L’acteur est à cet endroit précis et précieux de la double nature du langage, sens et son, comme la lumière est à la fois corpusculaire et ondulatoire. C’est miraculeux.

 

© Laurencine Lot

 

Lumières du corps, de Valère Novarina

avec Marcel Bozonnet

Collaboration artistique : Laure Née et Renato Bianchi

Lumières : Titiane Barthel

Composition électro-acoustique originale : François-Xavier Bertin et Robin Cordier

Masque : Werner Strub

Assistanat et coordination : Clément Bozonnet

 

Du 10 au 26 janvier 2024

du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h

relâches exceptionnelles les 17, 19  et 24  janvier

Durée 1h20

 

Théâtre du Soleil

2 Rte du Champ de Manoeuvre

75012 Paris

Réservation : 06 44 02 73 30

https://www.theatre-du-soleil.fr

 

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