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L’Oral et Hardi, écrit par Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonnaffé, mise en scène et jeu de Jacques Bonnaffé, Théâtre de la Bastille

Juin 05, 2022 | Commentaires fermés sur L’Oral et Hardi, écrit par Jean-Pierre Verheggen et Jacques Bonnaffé, mise en scène et jeu de Jacques Bonnaffé, Théâtre de la Bastille

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

« Quand la montagne accouche d’une souris, c’est qu’elle s’est fait niquer par un rat ! Vive Ponce Priape ! bibelot bouffon d’insanités sonores ! rotule, as-tu du genou ! les nains pètent, les orateurs fientent » … Ci-gît Jean-Pierre Verheggen, poète belge né à Gembloux en 1942… toujours vivace.

Pourfendeurs de calembours douteux, d’extases linguistiques, de rimes à la tripe hardie de chez Verheggen, passez votre chemin, ce spectacle n’est pas pour vous. Amateurs d’un verbe déboutonné, de jeux de mot, fidèles auditeurs des oulipesques « papous dans la tête » radiophoniques, courrez au Théâtre de la Bastille rencontrer son compère Jacques Bonnaffé, l’oral, qui vous convie à une allocution poétique, discours de campagne d’un éventuel non candidat probable.

Il arrive comme un officiel lors de comices agricoles, se fait acclamer en bord de scène pour aussitôt protester de sa modestie, propose de passer tout de suite au buffet plutôt qu’au sujet, chaloupe d’avant en arrière en bafouillant, tente de serrer des mains et propulse un jet de gel hydroalcoolique, se décide enfin à monter sur l’estrade, face à un micro de guingois. Après une telle mise en bouche, on est au parfum.

Et le voilà qui grommelle, mastique les mots, crée la surprise à chaque scansion ; le texte de Verheggen, sans matière grasse, tout en jouissance, gourmandise, allitérations, énumérations hilarantes prend une dimension prophétique. L’acteur entre en transe, « sans transition (climatique) » il nous attrape pour ne plus nous lâcher. On est avec lui et on se pince face à sa performance hérétique. On ne comprend rien et on entend tout, l’ode homérique à un verbe décomplexé, la parodie du discours managérial, le double parlé d’Orwell, la « participativité » ou convivialité recuite… et en prime un entartage impromptu.

Il arrive même à commenter en direct sa prestation athlétique avec l’hyperbole absurde d’un journaliste sportif, à la fois dedans et dehors, les pieds en canard tel Charlot, la démarche nerveuse et bourrée de tics, nez, bouche et sourcils de travers. L’arpenteur acharné cherche un objet, bute sur un mot, tombe sur une bouteille, essaie de se donner une contenance au milieu des paquets de PQ qui pendouillent du plafond, du rideau qui tombe, du micro qui se casse la figure, des ficelles qui jonchent le sol.

« Tout dire ! Tout parler ! Tout écrire ! Tout sembler réussir pour mieux finir par tout rater ! Tout échouer et en rire ! » tel est son credo. Il termine en peignoir de bain dans une ultime prosopopée aquatique ! On en redemande.

L’Oral et Hardi présenté dans ce même Théâtre de la Bastille en 2009, revient aujourd’hui avec toute sa puissance astringente. Le bonhomme n’a rien perdu de son élasticité, de son amour absolu de la poésie à partager avec le public. Comme un marathonien de foire, il nous récure les tympans de ces discours délirants, « infox » complotistes et novlangue des communicants. Alors, Jacques, on s’le fera ce jubilé ? chiche ! Comme dit l’autre wallon, « on n’est pas sérieux quand on a 117 ans » !