© Jean Louis Fernandez

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

Pavor, Paura…Peur

Les bateliers de la Volga ont du plomb dans l’aile, coincés tels des rats entre les eaux du fleuve et la taïga, ils s’en vont de la caisse dans l’air rance qui transpire la peur des autres, de soi-même, du monde tel qu’il va, du temps qu’il fait, de la catastrophe imminente. Denis Podalydès transpose le récit originel dans la Russie des années 1990, après la perestroïka, à une époque d’effondrement de l’économie russe et de montée des bandes mafieuses. C’est dans ce contexte  que Vladimir Poutine  accéda au pouvoir.

« D’un côté la Volga, déclare-t-il, de l’autre les murs clos des demeures, les secrets enfermés, la violence sourde, l’alcool pour faire semblant d’être libre. » Sur ce terreau faisandé prospère une communauté ultra-orthodoxe de marchands. Parmi eux une jeune femme adultère mariée à un homme violent sous la coupe de sa marâtre de mère n’a d’autre choix que le suicide. Sous le regard de Satan et de Dieu, elle offre sa vie, comme une purification, un passage du profane au sacré.

Le fond du plateau est barré par le mur amovible du fleuve, Styx infranchissable d’une lumière étale comme une épure ; on s’en échappe par les travées circulaires d’une forêt de bouleaux pour respirer, livrer au public sa vérité, chacun a son moment d’humanité. Ostrovsky offre aux comédiens de grands morceaux de bravoures, malgré un final qui tire en longueur. Mélodie Richard est cette âme pure, mal mariée, touchée par la grâce de l’amour, une Falconneti face à la caméra de Dreyer dans la passion de Jeanne d’arc, martyre au visage marqué par l’innocence, l’effroi, la détermination, l’extase. Nada Strancar jubile dans le rôle de la méchante veuve Kabanova « la pire des charognes de toute la Volga », qui crache son venin et se signe entre 2 pater noster. On pense à la chanson de Brel « faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on n’pense pas, monsieur, on prie. » Un coup de chapeau particulier à Philippe Duclos, d’une délicatesse lumineuse, passeur ouvert à la beauté du monde quand la société ne discerne plus ses couleurs. Il portera à la fin la dépouille de Katerina comme une offrande au ciel mais rien ne pourra être sauvé. Les personnages  n’apprennent rien.

Le peuple russe est ‘il indéfiniment biberonné à la souffrance, interrogeait Svetlana Alexievitch, n’y a-t-il d’autres alternatives que le repli sur soi, la terreur, le pouvoir de l’argent, le conservatisme social ? Tragédie du sacrifice comme unique voie de libération, l’orage est un grand texte sur les impasses de la société russe servi par une interprétation puissante.

© Jean Louis Fernandez

L’orage d’Alexandre Ostrovski, adapté par Laurent Mauvignier

Mise en scène : Denis Podalydès

Scénographie : Eric Ruf

Costumes Anaïs Romand

Son : Bernard Vallery

Lumières :  Stéphanie Daniel

Avec : Cécile Brune, Julien Campani, Philippe Duclos, Francis Leplay, Leslie Menu, Mélodie Richard, Nada Strancar,Bernard Vallery, Geert van Herwijnen, Thibaud Vinçon

Durée : 2h 15

Du 12 au 29 janvier 2023

à 20h du mardi au samedi, à16h le dimanche

Théâtre des Bouffes du Nord

37 bis Bd de la Chapelle

75010 Paris

Réservation

01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

Tournée : du 8 au 18 mars 2023 au Célestins, théâtre de Lyon, 24 mars à la Maison de la culture de Nevers, 28 et 29 mars scène nationale d’Albi, 2 et 2 avril au Parvis, scéne nationale de Tarbes, 6 et 7 avril au théâtre de Caen, 25 et 26 avril au théâtre Saint Louis Pau

L’Orage d’Alexandre Ostrovski adapté par Laurent Mauvignier éditions de Minuit 2023.

Be Sociable, Share!

•