Critiques // Lora, chorégraphie de Rachid Ouramdane / Hairy, chorégraphie de Dovydas Strimaitis, au Théâtre de la Ville, Paris, dans le cade du Focus Lituanien

Lora, chorégraphie de Rachid Ouramdane / Hairy, chorégraphie de Dovydas Strimaitis, au Théâtre de la Ville, Paris, dans le cade du Focus Lituanien

Oct 12, 2024 | Commentaires fermés sur Lora, chorégraphie de Rachid Ouramdane / Hairy, chorégraphie de Dovydas Strimaitis, au Théâtre de la Ville, Paris, dans le cade du Focus Lituanien

© Laurent-Philippe

 

Articles de Denis Sanglard

ƒƒƒ Lora, Portrait sensible d’une danseuse lituanienne d’exception que nous avions découverte dans Tordre, une chorégraphie du même Rachid Ouramdane. Lora Juodkaitè, corps gracile sur pointe articulé, désarticulé, qui tourne inlassablement, jusqu’au vertige, sur elle-même, depuis l’enfance pour calmer sa douleur, tordre la réalité, l’enchanter. Être libre. Rite quotidien, pour trouver dans cette giration qui semble sans fin un nouvel et fragile équilibre. Cela commence avec une pointe d’ironie, d’humour, une ouverture musicale qui hoquette, répétée comme un gag, celle de Funny Girl sur laquelle entre et sort en trombe Lora Juodkaitè, telle une girl de music-hall ou de cabaret. Une entrée musicale singulière et réitérée affirmant un point de départ qui va très vite s’avérer faux et torve, décevant avec malice notre attente. Car ce qui va être raconté, dansé sur ce plateau blanc et nu, c’est une tout autre histoire. Un autre point de vue, plus corrosif, plus sensible, hors-norme. Après s’être désarticulée comme si elle démantibulait en conscience la danse pour l’emmener vers un autre champ, dans une volonté de tordre celle-ci, ainsi que le mouvement convenu et le corps attendu, et l’intégrer en douceur et avec maîtrise vers ce qui la constitue, elle, et dont elle fait un champ de gravité et de force, d’expérimentation de soi et du monde, de soi face au monde. Il n’y a aucune histoire autre que l’exposition de ce corps en immersion absolue dans ce mouvement continu devenu une identité artistique unique. Rien de précipité, même dans la vitesse, c’est aussi lent et calme, déterminé que deux palmes en suspension qui tourneraient inlassablement, ébréchant l’espace par ce mouvement circulaire, concentrique et concentré. Un espace habité pleinement, devenu à son tour mouvant, anamorphosé, enjeu d’une reconstruction intime exprimée par ce corps pivotant sur lui-même. Dans cette giration maîtrisée, d’accélération en décélération, bras en croix ou replié, s’ouvre un formidable et nouvel espace vertigineux, ample, où la danse n’est plus simplement mécanique mais terriblement organique et, tout à la fois, une projection mentale de ce qu’il peut y avoir de plus intime dans la volonté têtue de la résilience. Sur ce plateau il n’y a rien que le mouvement et son abstraction, ce tournoiement giratoire hypnotique qui happe le spectateur, pris à son tour dans cette spirale qui le jette, lui aussi, dans un autre état.

Lora, conception et chorégraphie de Rachid Ouramdane

Avec : Lora Juodkaitè

Lumières : Stéphane Graillot

Décor : Sylvain Giraudeau

 

© D.Matvejev

 

ƒƒ Hairy où la pratique du headbang(ing) appliqué à la danse contemporaine. Soit un double mouvement, le up and down (hochement vertical ) combiné au windill (mouvement giratoire de la tête) propre aux métalleux, exercice que décuple encore les cheveux longs. « Avant j’étais chauve ! » clame le chorégraphe lituanien Dovydas Strimaitis. Est-ce la pousse de ses cheveux qui l’oblige avec cette pièce chorégraphique pour le moins échevelée à explorer les possibilités capillaires d’une parure si peu exposée, la plus souvent oblitérée, dans le champ chorégraphique ? Au rythme lancinant d’une pulsation qui nous pilonne le cerveau, une danseuse, ancrée fortement dans le sol, genoux souples et bassin verrouillé, dos à l’équerre et tête en bas, balance ses cheveux balayant le sol. Mouvement lent allant s’accélérant qui sollicite fortement la tête, le cou. On songe aux pauvres vertèbres cervicales sollicitées à nous donner, à nous spectateurs, un sacré torticolis. A l’acmé de ce balancement obstiné, et sans que nous n’apercevions jamais le visage, ou furtivement, un mouvement giratoire sec du cou projette les cheveux qui ne flottent plus ni se balancent mais fouettent l’espace furieusement. Ils sont bientôt quatre sur le plateau qui d’un même mouvement, au même rythme, secouent ainsi leurs longues chevelures. Et ce qui réalisé seul était déjà impressionnant, à quatre, dans une unité parfaite, jusque dans leur déplacement au cordeau, au poil près, et sans cesser de se tordre le cou, est d’une force de frappe peu commune. Surtout qu’il n’y rien de désordonné mais une maîtrise totale dans une chorégraphie qui se refuse à la mise en plis pour exprimer une liberté sans retenue, totale. Et c’est vers la transe que ce mouvement répété ad libitum entraîne nos danseurs qui bientôt n’en peuvent plus, on le ressent, et jouent de cette fatigue sans cesser ce mouvement pendulaire s’épuisant de lui même. On aurait pu s’arrêter là, à ces trente-cinq minutes captivantes, et les dix dernières qui suivent, sur du Bach, sont sans doute inutiles et dommageables qui cassent brutalement cette tension qui ne cessait de monter et devenue explosive. Néanmoins cette œuvre pilotractée n’est pas si fantaisiste que cela qui affirme l’expression d’une liberté, la symbolique des cheveux dénoués au vent, mais ici dans une volonté farouche et énergique qui rejoint par cet emprunt capillaire, peu ou prou, et dont il porte toute la charge métonymique l’esprit du heavy-metal (et le choix du costume, combinaison noire de latex intégrale, n’est pas non plus innocent), dans son rituel et sa liturgie qui se jouent des interdits, affirmant une position de rejet des institutions.

Hairy, chorégraphie de Dovydas Strimaitis avec les interprètes

Avec : Benoit Couchot, Line Lostfelt Branchereau, Lucrezia Nardone, Hanna-May Porlon

Musiique-composition originale : Julijona Bilveinytè, Prélude de la suite pour violoncelle n°4 de Bach, interprété par Yo-Yo Ma, Sarabande pour la suite pour violoncelle n°2 de Bach interprèté par Jean-Guihen Queyras

 

Du 10 au 12 octobre 2024 à 20h

 

Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt

2 place du Châtelet

75001 Paris

 

Réservations : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

2024 est l’année de la Lituanie en France. Le Théâtre de la Ville pendant trois semaines (29 septembre-20 octobre) propose un panorama de la jeune génération artistique lituanienne dans sa diversité (théâtre, danse, performance, musique, marionnettes) témoignant des bouleversements de son histoire…

Renseignements : www.theatredelaville-paris.com

 

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