© Frédéric Iovino
ƒ ƒ ƒ Article de Victoria Fourel
Dans un Londres des miséreux, une guerre des gangs sévit. Entre des patrons de mendiants, des truands, des prostituées et des flics corrompus, la faune est reine. Portrait drôle et cruel du monde moderne, L’Opéra de Quat’ Sous brosse des personnages chantants et vivants dans une mise en scène riche de Jean Lacornerie.
D’abord, le plateau. Un bazar indescriptible y règne. Une grande table, qui peut à la fois rappeler l’usine ou la salle de réunion, des cartons et des structures métalliques encombrent et nourrissent un univers industriel décalé. C’est très riche et il se passe toujours quelque chose dans un coin de plateau, que ce soit chez les musiciens ou les acteurs. Et pourtant, rien ne parasite l’écoute du public, tant les lumières et les chansons centrent notre attention sur des personnages précis et techniques.
Les comédiens, d’ailleurs, ne se moquent à aucun moment de leurs personnages, et sont dans une sorte d’excès permanent, mais tellement juste, tellement premier degré, que l’on croit à tout. Même lors des quelques moments où ils rompent le quatrième mur et s’adressent à nous, ils le font avec une telle foi que l’on ne peut que les suivre. Dans la façon d’animer leurs chansons d’opérette de grandes émotions aussi, il y a un côté jouissif. Les visages, les grandes voix, les solos, tout y est pour que les personnages deviennent héros de l’opéra. Comme si ce genre d’œuvre grandiose et absurde se devaient de se prendre au sérieux pour que cela soit pris au sérieux.
Et pour amplifier le décalage entre opéra et chronique de la vie moderne, il y a ici la présence de marionnettes. Chiffonnées et originales, elles vont tour à tour permettre à de nouveaux personnages de faire leur entrée, et à donner à cet univers de ruelles sombres un vrai côté abîmé. Elles sont aussi l’occasion de noter la précision de la direction d’acteurs et du travail des comédiens, qui doivent tour à tour devenir des stars d’opérettes aux sentiments exacerbés, puis se cacher derrière de grandes poupées de chiffon qui prennent vie sous leurs mains.
On apprécie le rythme du spectacle et les transitions, qui rappellent celles des comédies musicales modernes. Les tableaux s’enchaînent, l’avant-scène devenant scène pour les solistes, sans permettre que les moments parlés ne soient moins intéressants que les chansons. Le niveau de jeu et de chant est excellent et l’interprétation du texte est simple, précise. Le texte est limpide, éclairé par celui, en allemand, visible sur les écrans de sur-titrage.
Dans cet Opéra de Quat’ Sous, la violence et l’amour sont partout. On se tend des pièges, on se ment, on se séduit. Tout se monnaye et tout est susceptible de tourner au grand-guignol. Cette réinterprétation utilise à merveille ce trait de l’œuvre de Brecht, en jouant avec sérieux des échanges vraiment drôles, des rivalités et des vies de gangster de bande-dessinée.
© Frédéric Iovino
L’Opéra de Quat’Sous de Bertolt Brecht
Mise en scène Jean Lacornerie
Chorégraphie Raphaël Cottin
Musique Kurt Weill
Direction musicale Jean-Robert Lay
Scénographie Lisa Navarro
Costumes Robin Chemin
Lumières David Debrinay
Avec Gilles Bugeaud, Pauline Gardel, Vincent Heden, Nolwenn Korbell, Amélie Munnier, Florence Pelly, Jean Sclavis et Jacques Verzier.
Du 16 au 21 novembre 2018, vendredi, mardi et mercredi à 20h, samedi à 19h30
Théâtre de la Croix-Rousse
Place Joannès – Ambre
69004 Lyon
Réservation 04 72 07 49 49
http://www.croix-rousse.com
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