© Jean-Louis Fernandez
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Il faut bien avouer, à grand regret, avoir été pour la deuxième fois déçue par la mise en scène d’un grand texte par Thomas Ostermeier à la Comédie-Française.
Adaptant la nouvelle traduction d’Alexandre Pateau (publiée par L’Arche cet été), le metteur en scène allemand qui a tellement bousculé les scènes européennes par ses revisitations géniales en particulier de grandes pièces de Shakespeare, travaille pour la troisième fois avec la troupe de la Comédie-Française après La nuit des rois et Le Roi Lear, avec une première mise en scène d’opéra (officiellement car ce n’en est pas un à proprement parler), créée en ouverture du très chic 75ème Festival d’Aix-en-Provence en juillet dernier.
Malheureusement, comme avec Le Roi Lear la saison dernière, Thomas Ostermeier choisit une voie surtout bouffonne, pas au sens le plus noble du terme, qui va au-delà de la dimension (partiellement) cabaret exigée par cette pièce-opéra écrite par Brecht et mise en musique par Kurt Weill, dont le destin fut par ailleurs mouvementé depuis sa création en 1928 et dont c’est cette première version (ensuite beaucoup retravaillée) qui est utilisée.
Certes la troupe a l’air de beaucoup s’amuser, une partie du public aussi, maintes fois interpellé dans un esprit à la fois brechtien mais aussi dans un jeu un peu démagogique qui n’est pas en tant que tel problématique de voir au Français, mais qui n’apporte rien.
Si l’orchestre Le Balcon, joyeusement dirigé par Maxime Pascal, ainsi que son très beau chœur (dont le rôle est toutefois réduit) donnent une caution musicale à cette création salle Richelieu, ainsi que Marie Oppert (qui a une formation professionnelle en chant) du côté des comédiens-chanteurs, le niveau de prestation vocale des autres comédiens est très inégal, ce qui selon les rôles est plus ou moins gênant, car on n’attend pas non plus le niveau d’une distribution opératique. Si Dominique Vella convainc pleinement sur tous les plans en Célia Peachum et forme un couple truculent avec Christian Hecq et que Benjamin Lavernhe séduit (y compris dans les prestations chorégraphiées) dans celui de Brown, le chef de la police de Londres, les autres rôles manquent un peu de mordant, de méchanceté, de malsain. La direction d’acteurs et l’esprit de cette mise en scène et scénographie se calant sur l’esthétique théâtrale russe des années 20, par leur manque d’inventivité et de laideur viennent affadir un texte qui n’est pas n’importe quel texte, d’un auteur qui était dans le début d’un cheminement d’une œuvre dont l’intention allait se préciser ensuite, tant sur le fond que sur la forme. Les costumes à paillettes, tartes à la crème et bandeaux lumineux dignes des chaînes d’infos en continu (diffusant ici les didascalies de l’auteur ou intitulés d’airs chantés) pèsent peu face au discours d’origine venant critiquer férocement le capitalisme, même si une forme d’utopie pré-marxiste la caractérise.
Au final, que reste-t-il de l’acidité de cette œuvre politique en trois actes dont le contenu textuel avait pourtant été réduit pour lui donner plus de force ? Il n’est pas certain que les spectateurs vierges de toute connaissance de l’œuvre de Brecht et de cette pièce en particulier puissent se faire une véritable idée de son œuvre et des sens multiples de son discours polymorphique, ni que les amateurs éclairés se passionnent pour une version édulcorée de cette satire (à la fois du genre opératique, et du fond de critique sociale et politique), même si prise à bras le corps par la majorité de la distribution.
© Jean-Louis Fernandez
L’opéra de quat’ sous
de Bertolt Brecht (texte) et Kurt Weill (musique) avec la collaboration d’Elisabeth Hauptmann
Adaptation et mise en scène : Thomas Ostermeier
Traduction : Alexandre Pateau
Direction musicale : Maxime Pascal
Dramaturgie et collaboration artistique : Elisa Leroy
Scénographie : Magdalena Willi
Costumes : Florence von Gerkan
Lumières : Urs Schönebaum
Vidéo : Sébastien Dupouey
Son : Florent Derex
Chorégraphie : Johanna Lemke
Chef de chant : Vincent Leterme
Avec : Véronique Vella, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nicolas Lormeau, Stéphane Varupenne*, Benjamin Lavernhe*, Birane Ba, Claïna Clavaron, Nicolas Chupin, Marie Oppert, Sefa Yeboah, Jordan Rezgui
Et le chœur et l’orchestre Le Balcon
Durée 2h30
Jusqu’au 5 novembre 2023, 20h les vendredis et samedis et 16h les dimanches
Comédie-française
Place Colette – Paris 2ème
www.comedie-française.fr
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