© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒƒ Article de Corinne François-Denève
« Longwy Texas » : inutile de chercher sur quelque Google Map la localisation hasardeuse d’un « Longwy » qui se serait égaré en Amérique. Contrairement à Wim Wenders, qui avait déniché un autre « Paris » au fin fond d’un grand état américain, le Longwy de Carole Thibaut est bien situé dans l’Est de la France. Si Texas il y a, c’est parce que le Texas est venu à Longwy – métaphoriquement, le Texas, c’est l’argent, la richesse, alors apportés par le filon des hauts fourneaux.
Carole Thibaut situe d’emblée très précisément l’endroit d’où elle parle : elle est née à Longwy, en 1969, d’un père qui travaillait à l’usine. Son « spectacle » est un voyage dans le passé. Le passé de son enfance, mais aussi ce passé désormais révolu d’un Longwy alors riche et prospère. La forme est celle d’une sorte de conférence, illustrée d’un Powerpoint. Sur ce Powerpoint, les sources, d’abord claires, finissent par se mêler : photos de famille, photos tirés des albums édités à la gloire de l’usine, témoignage enregistré du père, film fait par lui, photos prises par Carole Thibaut lors de ses trois retours à Longwy, archives de la radio « Lorraine cœur d’acier » ou des journaux télévisés de l’époque.
Carole Thibaut s’était déjà lancée sur les traces des ouvrières de Lejaby, avec A plates coutures. Philippe Durand, dans 1336 (Parole de Fralibs) ou Bérangère Vantusso, avec Longueur d’ondes, ont aussi entrepris de chroniquer la fin d’une époque, d’un rêve – le démantèlement d’une usine à laquelle on a donné dix, vingt, trente ans de vie. Il n’est pas tellement question de cela ici. Social, le spectacle de Carole Thibaut l’est aussi, évidemment. Mais il se rapproche davantage d’un « Retour à Longwy » façon Didier Eribon, ou, côté femmes, des ouvrages d’Annie Ernaux, qui parlent de la « honte » supposée d’être une fille.
En faisant retour vers Longwy, qu’elle a quitté adolescente, dans la voiture de son père, Carole Thibaut poursuit en effet davantage une quête personnelle. Le père, en effet, n’est pas un ouvrier dépossédé. C’est un cadre, qui comprend que l’usine n’a pas d’avenir, et va trouver du travail ailleurs. Ouvrier, il aurait sans doute été un héros plus facile. Il n’est qu’un père comme tant d’autres à l’époque, globalement indifférent, surtout à sa fille. En cherchant sous le nouveau golf, sous les arbres maladroitement plantés, les traces de l’usine, dont le carrelage ressort, immarcescible, Carole Thibaut refait sans doute le chemin qui a pu la mener, de cette ville industrielle et ingrate, aux planches, et aux commandes d’un théâtre, qu’elle découvre être… une ancienne forge.
Emouvant comme une conversation tardivement entreprise, Longwy Texas parle tout à la fois d’un passé qui ne reviendra plus, rouge et radieux, que d’un désir de réconciliation avec des pères qui, désormais, ne parlent plus mais crèvent lentement, bien loin de la Lorraine, ou du Texas.
© Jacques Thibaut
Longwy Texas, au pays des pères
de et avec Carole Thibaut
production théâtre des Îlets – centre dramatique national de Montluçon – région Auvergne-Rhône-Alpes
en co-réalisation avec Le Carreau – scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan
durée 55min
à partir de 14 ans
Du 4 au 6 mars 2024, à 19 h
Durée : 55 minutes
Théâtre de la Bastille
76, rue la Roquette
75011 Paris
Réservation : 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
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