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ƒƒ article de Marguerite Papazoglou
Pour la deuxième journée du festival de danse arabe (22 mars – 28 juin 2019), deux visions singulières du corps confronté à l’adversité : Logos un solo d’Adel El Shafey est suivi de Sur le pas de ta porte duo à trois de Selim Ben Safia. Deux chorégraphes qui s’inscrivent résolument dans le paysage de la danse contemporaine. Recherche chorégraphique et abstraction (mais) qui ne font pas l’économie d’une parole polémique.
Logos, de et avec Adel El Shafey.
Adel El Shafey au geste souple et acéré, incroyable danseur autodidacte des battles de danses urbaines, a cette rare capacité à pouvoir jouer librement de cette qualité féline immédiatement reconnaissable chez les danseurs hip-hop, la transposer dans de « nouveaux » mouvements ou la faire disparaître au profit d’autres qualités et postures corporelles. Il signe et interprète un solo de 17 minutes très dense, d’une recherche chorégraphique fouillée et aboutie. Le titre est direct quant à son objet : Logos, langage et raison, c’est-à-dire le langage dans sa matérialité et dans son rapport constitutif de la relation à soi. Non pas donc l’échange mais le soliloque. Nous n’entendrons pas de mots mais leur bruissement ou vrombissement ou écho interne : bande son saisissante ; chorégraphie du logos.
Le mouvement, même s’il est constamment nourri par une colonne vertébrale sans repos, focalise sur les mains décrivant des figures aériennes dans l’espace proche, dont le phrasé oscillatoire et irrégulier évoque de façon très expressive celui de la parole et de ses ponctuations. Sur cette base se construit une dramaturgie avec l’évolution du monde intérieur du personnage où l’on perçoit les conditions de vie, la peur, la tentative d’abnégation, l’acharnement à attendre et à espérer, l’aplatissement, la nécessité de la survie. Chutes, coups, obstacles, flingues entraperçus mais toujours comme à travers le filtre du dialogue intérieur qui arrondit les angles, entre mouvements antagonistes qui toujours reviennent vers le corps du conflit intérieur et tentative de se réapproprier les choses, c’est superbe. Cette danse dont la possibilité de la marche est exclue finit par s’ériger petit à petit — on repense au célèbre Erection de Pierre Rigal mais avec un propos plus direct — jusqu’à une station debout, bien campée, regard face… et une cagoule noire. Là, le geste sera à nouveau posé, rhétorique, puis incessant, de plus en plus mécanique, raide, automatisé, accompagné par un grésillement étouffant de la décidément très belle bande son cosignée par Murcof, Bryn Jones et Rick Corrigan.
Tout en reprenant le stéréotype de la radicalisation du jeune homme devenant terroriste, Adel El Shafey réussit à aborder le phénomène dans un mouvement d’exposition et non d’explication, en visitant les qualités du discours dans les corps, en dessinant des glissements intimes subtils. Pièce fascinante et aboutie mais qui ressemble à un premier chapitre d’une pièce plus large. A suivre ?
Logos, de et avec Adel El Shafey
Chorégraphe, interprète : Adel El Shafey
Assistante chorégraphe : Maëlle Deral
Musique : Murcof, Bryn Jones et Rick Corrigan
Lumières : Gérard Garchey
Le 23 mars à 20h à l’Institut du Monde Arabe
Durée 17 minutes
Institut du Monde Arabe
1 Rue des Fossés Saint-Bernard
75005 Paris
Réservation au 01 40 51 38 38
www.imarabe.org/fr/actualites/spectacles/2019/le-printemps-de-la-danse-arabe1
www.imarabe.org
Tournée
– A gulf between us, Adel El Shafey
Le 19 avril 2019 à 20h45
Théâtre du Rond Point — Valréas
32 Rue des Cordeliers
84600 Valréas
Réservation au 04 90 35 21 45
www.theatredurondpointpaca.com
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