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Loco, d’après Nicolas Gogol, mise en scène de Tita Iacobelli et Natacha Belova, au Théâtre Antoine Vitez, dans le cadre de la Biennale internationale des arts de la marionnette à Ivry

Mai 26, 2025 | Commentaires fermés sur Loco, d’après Nicolas Gogol, mise en scène de Tita Iacobelli et Natacha Belova, au Théâtre Antoine Vitez, dans le cadre de la Biennale internationale des arts de la marionnette à Ivry

 

© Pierre-Yves Jortay 

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Entre chien et loup, un petit homme, effigie d’Antonin Artaud, émerge d’une masse de tissus agglutinés sur un lit à barreaux marronasse. Brume, brouillard et lumière sombre qui entourent ce visage humain une espèce de mort perpétuelle, une figure martelée, poinçonnée, dont les cavités semblent un champ de bataille. Narrateur de ses pensées, le crâne, prolongé d’une pauvre chemise, nous fait partager le labyrinthe de ses divagations dans le petit entresol humide où il semble exilé.  

Bras articulés, jambes cadencées, la poupée de chiffons s’agite, fait corps avec deux comédiennes et se transforme au gré des présences bienveillantes ou maléfiques de l’histoire, petite chose ténue étonnamment attachante, en équilibre instable dans la boucle de ses fantasmes. Le phrasé rauque traduit tout à la fois, sa fuite en avant à tombeau ouvert et le carcan mental dans lequel il est enfermé. Les actrices manipulent le fragile Houdini fracassé au chaos du monde tel Félicité, la servante dans Un cœur simple, de Flaubert, qui meurt « sans éclats, sans vitesse, et de façon aussi éteinte que la vie qui l’a précédée. ». 

Loco (fou en espagnol), adapté du Journal d’un fou de Gogol, est Poprichtchine, fonctionnaire au bas de l’échelle dont la vie se partage entre la routine de son emploi de copiste et ses petits plaisirs d’homme solitaire. Sa rencontre avec Sophie, la fille de son directeur, vient bouleverser son quotidien au point de l’emporter dans la folie.

Il est l’invisible, l’insignifiant, le benêt, le laid, soudain touché par l’amour et le rêve de reconnaissance, qui découvre son image ridicule dans les yeux d’une chienne. Il voit son corps loqueteux par le regard de la femme désirée, dont il ne reçoit que mépris et rebuffade. Le choc est tel qu’il décompense, le pantin se fait roi, se modèle au gré de ses désirs identitaires : « Peut-être que je suis comte ou général. Pourquoi ai-je l’air de n’être qu’un petit employé ? Peut-être que je ne sais pas moi-même qui je suis ». Son délire s’accompagne d’une supra lucidité sur le monde qui l’entoure « Et tous ceux que vous voyez là, tous ces pères de famille gradés, tous ces hommes qui font des pirouettes dans toutes les directions et qui prennent la Cour d’assaut, en disant qu’ils sont patriotes, et patati et patata : les subsides, les subsides, voilà ce que veulent ces patriotes ! ».

La composition scénique transformiste est d’une invention stupéfiante. Là où beaucoup en mettraient plein la vue à coup d’effets tonitruants Tita Iacobelli et Natacha Belova jouent avec les objets et les différentes parties de leur corps, le vêtement, la chevelure, se font animal ou poisson, un coussin se métamorphose en tête géante de directeur. Le jeu des actrices, axé sur un travail corporel précis, exclut les automatismes pour toucher l’essence des personnages. Arte povera à la Grotowsky, Loco est soigné jusque dans les moindres détails, un miracle de délicatesse et de beauté.

Si grand et si petit est l’imaginaire de cet être minuscule, égaré dans sa soupente de carton-pâte, si seul, et que les chiens dévorent comme un vulgaire rebu. La vie ne fait pas de cadeau aux petites gens trop maigres pour mentir. Gogol s’est-il projeté dans cet avatar de papier froissé, créé pour rire et pleurer, scénariser sa vie et échapper aux traitements d’une violence inouïe infligé par les médecins à son cerveau troué de visions mystiques ? Trop vaste est l’imagination du poète égaré dans un monde de nains. « Tout est une tromperie, disait Gogol, et tout est un rêve, rien n’est ce qu’il paraît ». L’épopée surréaliste de Poprichtchine renvoie à l’absurde de nos vies, au besoin d’un ailleurs. Face aux normes de séduction et de performance, comment ne pas devenir fou ?

Loco, un moment de théâtre exceptionnel au service d’une langue-matière vivante, mouvante, drôle et angoissante, inoubliable !

 

© Pierre-Yves Jortay 

 

Loco, librement inspiré du Journal d’un Fou (1834) de Nicolas Gogol

Mise en scène : Tita Iacobelli et Natacha Belova

Scénographie, marionnettes : Natacha Belova

Avec : Anne Romain, Marina Simonova

Musique : Simón González

Éclairage : Christian Halkin

Chorégraphie et regard extérieur : Nicole Mossoux

Costumes : Jackye Fauconnier

 

Durée : 1h

Le 22 mai, dans le cadre du 12ème Festival international des arts de la marionnette.

 

Théâtre Antoine Vitez

1 rue Simon Dereure

94200 Ivry

Tel : 01 46 70 21 55

https://theatrevitez.fr/reservations

 

Tournée :

24 octobre 2025 : Festival fiGUMA d’Eupen (Belgique)

22 janvier 2026 Théâtre Jean Vilar, Ifs

7 février 2026 : Festival de la marionnette de Belfort

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