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L’impresario de Smyrne, de Carlo Goldoni, mise en scène de Laurent Pelly, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet

Mai 02, 2024 | Commentaires fermés sur L’impresario de Smyrne, de Carlo Goldoni, mise en scène de Laurent Pelly, à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet

 

© Dominique Breda

 ff article de denis Sanglard

Venu de Smyrne un marchand turc qui ne connaît rien à la musique, mandaté par ses amis, débarque à Venise pour recruter les meilleurs artistes lyriques et les embarquer pour Istamboul pour y monter un opéra. Agent sans scrupule, poète sans talent, sopranos vaniteuses et rivales, castrat famélique, tous se précipitent, réclament, s’écharpent. Qui sera la Prima Donna ? Quel salaire pour mon talent ? Une guerre d’égo, une foire d’empoigne, un bûcher des vanités qui aura raison du turc lequel laissant à quai ces artistes imbus d’eux-mêmes, repartira seul, en catimini, en Turquie.

Une scène inclinée comme un pont de bateau encalminé, une toile de scène poussiéreuse au lointain pour voile, qu’entoure un manteau d’arlequin incliné comme un mât prêt de tomber, c’est Venise et c’est le théâtre réunis en un seul geste scénographique. Sur ces planches blanches vont et viennent, s’agitent, toupillent des silhouettes fébriles et inquiètes vêtues de noir, à l’identique, dans des costumes du XVIIIème revisité, le visage blafard pour masque de comédia dell’ arte. Au lointain du  jardin l’Ensemble baroque Masque, trio emmené par le claveciniste Olivier Fortin qu’accompagnent les violoncellistes Mélisande Corriveau et Arthur Cambreling (en alternance), les violonistes Ugo Gianotti et Paul Monteiro (en alternance), donne un la discret, soulignant les rythmes arythmiques de cette comédie cruelle. Où Goldoni, fin connaisseur d’un milieu qu’il réforma, vivant de près la vie des artistes toujours aux abois, agrège les ambitions et les angoisses d’un milieu soumis aux aléas de commanditaires, de mécènes et protecteurs.

Laurent Pelly ne charge pas la barque, au contraire. Il y a quelque chose de doux-amer dans l’appréhension de ces personnages qui les sauve du ridicule de la caricature purement bouffe. Leurs ambitions, leurs exigences, leur arrogance, leur âpreté pécuniaire n’expriment rien d’autre qu’un instinct de survie chevillé devant la précarité de leur condition. Castrat sans le sou, sans contrat, acceptant un salaire au rabais. Chanteuse sans réelle talent prêt à se vendre à un protecteur. Comte impécunieux improvisé agent, escroc, plus Weinstein que Casanova. Diva entre deux âges soumise à la concurrence de la jeunesse. Auteur opportuniste et plagiaire pour combler la béance d’une inspiration asséchée. Sur le plateau c’est une surexcitation devant cette offre inespérée qui voit les jalousies s’exacerber, s’aiguiser les  rivalités devant un turc qui, n’y connaissant rien, il faut duper et gruger. Laurent Pelly orchestre tout ça avec le talent et l’inventivité subtile qu’on lui connaît, ici une épure sèche qui met à nu les rouages et la dynamique de cette comédie, à vif les personnages et les corps toujours impatients.

Et dans ce jeu de dupe qui masque à peine leur misère morale et financière, ils sont absolument tous formidables, dirigés au cordeau, Laurent Pelly excellant dans la direction de ses acteurs. Toujours justes jusque dans leur cabotinage outré. Derrière le masque, une humanité. Et celle que tous attendent ici, reconnaissons-le, Nathalie Dessay, qui fut de nombres de productions légendaires à l’Opéra sous la direction de Laurent Pelly, ne se la joue pas plus diva que ça, ce qu’elle ne fit jamais, sauf dans son personnage (Tognina) où elle puise matière dans un milieu qu’elle connaît bien, faisant corps avec la troupe au diapason où visiblement elle jubile dans cette mise en abîme d’un art lyrique qu’elle maîtrise toujours et dont elle se joue avec bonheur. Alors quand elle chante, un seul air d’une poignante mélancolie, sposa, son disprezzata (Irene) de Bajazet, de Vivaldi, le contraste avec son personnage de chanteuse redoutant le déclin et la vieillesse est bouleversant qui résume lapidairement toute la violence de sa condition. Julie Mossay ( Annina) n’est pas en reste, dans cette féroce compétition égotique, cette rivalité à couteau-tiré, et son unique air, stizzoso, mio stizzoso, de La serva padrona, de Pergolese, est un petit bijou d’humour… Malheureusement ni l’une ni l’autre ne sera prima donna, éteignant là leurs ambitions désespérées. Il est curieux par ailleurs que l’heureuse élue, Lucrezia (Jeanne Piponnier, parfaite en petite vipère dévorée d’ambition plus que de voix), est la seule que nous n’entendrons pas chanter. Le choix de l’élue résidant sans doute en d’autres talents… dure réalité dénoncée là par Carlo Goldoni ! Mais tout ce petit monde ne verra jamais la Turquie. Une bourse en dédommagement, captée par le comte, les obligera à faire société, mettre en commun leur talent et taire leur rivalité (provisoirement ?) pour un prochain spectacle. La comedia non e finita !

 

© Dominique Breda

 

 

L’impresario de Smyrne, de Carlo Goldoni,

D’après l’imprésario de Smyrne (1759) et Le théâtre comique (1750), traduction et adaptation d’Agathe Mélinand

Mise en scène de Laurent Pelly

Avec : Nathalie Dessay, Julie Mossay, Jeanne Piponnier, Eddy Letexier, Thomas Condemine, Damien Bigourdan, Antoine Minne, Cyril Collet

L’Ensemble baroque Masque dirigé par Olivier Fortin avec : Olivier Fortin, Ugo Gianotti / Paul Monteiro (en alternance) au violon, Mélisande Corriveau / Arthur Cambreling (en alternance) au violoncelle

Scénographie : laurent Pelly et Mathieu Delcourt

Lumières : Michel Le Borgne

Son : Aline Loustalot

 

Jusqu’au 5 mai 2024 à 20h

Samedi 16h et 20h

 

Athénée Théâtre Louis-Jouvet

2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet

75009 Paris

 

Réservations : 01 53 05 19 19

www.athenee-theatre.com

 

Tournée :

22/24 mai 2024 Théâtre de Caen

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