Critiques // « Liliom ou la vie et la mort d’un vaurien » de Ferenc Molnar, mise en scène de Jean Bellorini, Odéon

« Liliom ou la vie et la mort d’un vaurien » de Ferenc Molnar, mise en scène de Jean Bellorini, Odéon

Mai 28, 2015 | Commentaires fermés sur « Liliom ou la vie et la mort d’un vaurien » de Ferenc Molnar, mise en scène de Jean Bellorini, Odéon

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

liliom-photo-marie-clauzade© Marie CLAUZADE

Julie la bonniche têtue tombe amoureuse d’un voyou bonimenteur à la gueule d’ange blafarde. Amour désaccordé sur fond de chômage où les coups pleuvent davantage que la monnaie. Julie tombe enceinte. Pour l’avenir de ce gamin à venir, Liliom tente un dernier coup. Un braquage qui tourne mal et Liliom se suicide. Mais Dieu s’en mêle qui le convoque. Jugé par un tribunal céleste pour avoir frappé Julie, il est condamné à revenir sur terre, seize ans plus tard, une seule journée, pour offrir quelque chose de beau à sa fille. Effrayée et devant le silence obstiné de sa mère qui ne le reconnaît pas, elle refuse son cadeau. Désemparé, il la frappe…

« Liliom » c’est comme le décor planté sur la scène du TGP. Un manège d’auto-tamponneuse où l’on tourne obstinément en rond, où l’on se cogne à tous les coins, où l’on se rentre dedans. Seulement voilà, sorti de la fête foraine, propre à tout excès illusoire, la réalité cogne plus fort. Liliom viré par madame Muscat, jalouse d’une petite boniche, se tamponne avec la vie et frappe à son tour. Ce n’est pas Roméo et Juliette, Liliom et Julie. Mais deux gosses perdus dans une vie de misère qui les dépasse, trop grande sans doute pour eux. Où simplement dire les choses les plus bêtes est impossible. Ça reste coincé quelque part. Et quand ça sort, c’est toujours de guingois. Et les sentiments, c’est du pareil au même, ça ne veut pas, ça ne peut pas sortir. Pas une question de pudeur – encore que – mais de vocabulaire. Julie oppose un silence buté, madame Musca sa violence et sa vulgarité, Marie sa bêtise et ses rêves. Liliom, lui, invente sa langue et sa grammaire. Et quand désemparé, impuissant devant ses sentiments ou ceux de Julie qui l’étouffent, désarmé devant la vie, ne sachant l’exprimer, il cogne.

Jean Bellorini signe une mise en scène crépusculaire et poétique. Une poésie aux accents expressionnistes, drôle et franchement burlesque offrant une touche de légèreté. Évitant la noirceur grasse et lourde, nous sommes plus près de la farce et de guignol, du sombre conte que de la tragédie. L’émotion est pourtant là mais soigneusement empaquetée pour ne pas verser dans le pathos inutile. Tenue à distance comme les personnages qui se gardent bien d’encombrantes larmes et de sentiments idiots. Jean Bellorini va droit au but, pas de sentimentalité. Et quand il opte pour le burlesque, la scène du jugement au purgatoire est ici exemplaire, il évite ainsi tout ridicule. On rit beaucoup, même si parfois ce rire s’étouffe devant la violence des situations et la souffrance des personnages, marionnettes misérables d’un vaste chamboule-tout. Car la mise en scène ressemble un peu à ça, un jeu de massacre pour de rire, volontairement théâtral, ou nul n’est épargné. Sa direction d’acteur – tous excellents – est aussi rude que le destin de ses personnages coincés dans ce manège qui ressemble à leur vie. Pas un qui ne s’accorde, même les corps sont désaccordés, et pourtant chacun s’accroche à l’autre. Belle métaphore que cette scénographie qui voit la grande roue tourner à vide comme le destin de Liliom et de Julie condamnés à revenir toujours au point de départ. Ou comme cette caravane résolument plantée là et qui probablement ne partira jamais de ce terrain vague.

Liliom ou la vie et la mort d’un vaurien
De Ferenc Molnar
Mise en scène Jean Bellorini
Traduction Kristina Rady, Alexis Moati, Stratis Vouyoucas
Scénographie et lumière Jean Bellorini
Musique Jean Bellorini, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé
Costumes Laurianne Scimemi
Maquillage Laurence Aué
Avec Julien Bouanich, Amandine Calsat, Delphine Cottu, Jacques Hadjaje, Clara Mayer, Julien Cigana, Teddy Melis, Marc Plas, Lidwine de Royer Dupré, Hugo Sablic, Sébastien Trouvé, Damien Vigouroux

Du 28 mai au 28 juin 2015
Tous les jours à 20h, 15h le dimanche. Relâche le lundi
Odeon-Théâtre de l’Europe
Ateliers Berthier
1, rue A. Suares – 75017 Paris
Réservation 01 44 85 40 40
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