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L’hôte, de Bénédicte Le Lamer, à la Ménagerie de verre, Paris, dans le cadre du festival INACCOUTUMÉS 2022

Nov 08, 2022 | Commentaires fermés sur L’hôte, de Bénédicte Le Lamer, à la Ménagerie de verre, Paris, dans le cadre du festival INACCOUTUMÉS 2022

 

© Elise Garraud

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

En intitulant sa proposition L’hôte, Bénédicte Le Lamer l’ouvre à tous les vents interprétatifs, à toutes les spéculations, de Flaubert et son conte à l’énigme cruelle relatant la légende de Saint-Julien l’Hospitalier, jusqu’à, osons, l’alien du cinéma. Dans cet arc souverain, la forme ouverte à laquelle nous assistons se fait l’hôte de nos projections, sans que jamais les deux ne coïncident complètement, la performance usant de son irrésistible et sensible liberté de bout en bout de la soirée. Ouverte à tous les vents, elle l’est aussi à ces écritures qui, tacitement, Flaubert, pré texte du plateau, ou expressément, Rainer Maria Rilke, Cesare Pavese, traversent le spectacle. Des mots de poètes qui traduisent le plus souvent l’incomplétude, l’échouage de l’être à la lisière du corps et de la nature. Sans que jamais cela ne soit explicité, pareil à une piste explorant un hors champ du geste artistique, L’hôte semble également embrasser ce point de tremblement qui floute les barrières érigées entre les espèces par l’homme moderne, ce moment de vacillement qui détrône l’anthropocène de sa position centrale. Comme une intuition hasardeuse de poète qui prendrait soudainement une tournure politique dans cette époque où les stigmates de la catastrophe naturelle sont de plus en plus visibles. « Pourquoi être rivé à l’humain ? » interroge ainsi Rilke (Élégies de Duino). De ces textes qui nous précèdent émerge une dramaturgie qui s’hybride aux penseurs actuels, Baptiste Morizot, Nastassja Martin, pour n’en citer que deux, articulant et recomposant ce que la modernité a dissocié, quand cela ne formait qu’un tout : l’homme et la nature. « Je serais loup jusque dans mon sommeil » dialogue encore Cesare Pavese. De cette pensée évanescente, impressionniste, éloignée de tout didactisme, trempée de la poésie des corps et des mots, on est divinement nourri.

Par sa forme même, L’hôte agit en passe-muraille, pénétrant un genre, la danse, pour glisser ensuite subrepticement ou brutalement, par effraction, dans le théâtre. Et encore, ces catégories semblent bien usées et imparfaites pour tenter de décrire ce qui a lieu. Car, si dans l’écriture des corps ou dans la scénographie minimaliste de la scène, quelques bois de cerf et une couverture à la couleur sang de bœuf, le conte de Flaubert affleure indéniablement tel un palimpseste, toute narration en est résolument exclue. C’est un autre temps, libre, qui s’offre au spectateur. Une contemplation où les corps de deux danseurs, d’une DJ aux platines et d’une actrice, dans cette salle si particulière de la Ménagerie de verre, composent un paysage de l’inattendu. Tel ce danseur, dans une robe fourreau à paillettes roses, dos entièrement offert dans l’entrebâillement d’une fermeture dézippée, s’éloignant à pas lent, dans la volute d’un imperceptible déhanché, les mains disséminant d’invisibles fleurs, pareil à une semeuse, pareil au laurier cité dans la neuvième élégie de Duino. Corps désirable que la persistance de l’éloignement nimbe d’une déchirante beauté. Les corps sont gorgés d’un discours tu, d’une histoire inédite, d’un non-dit. Ils ne tournent pas à vide comme c’est souvent et malheureusement le cas dans une certaine danse contemporaine. Ils connaissent le privilège des chemins, pour paraphraser Pessoa. Émane d’eux l’aura du vivant. Autonomes quant aux textes de Rilke, ils sont pareils à des planètes dont nous suivrions stupéfaits les révolutions, amarrés simplement au conte de Flaubert telle une invisible ligne de flottaison, enveloppés et soulevés par les prodigieux et somptueux climats que livre la DJ (Marion Faure) depuis ses platines, par les lumières atmosphériques et colorées qui hantent l’espace (Romain de Lagarde). Leur danse peut être un devenir animal, une autre manière d’être vivant, les corps bondissant sont plus que le prélude à l’après-midi d’un faune. La prédation se fond dans le désir. S’inscrivant autant dans le temps que dans la profondeur de l’espace, les corps des deux danseurs sont des corps jumeaux, les pièces d’un même organe, dans un unisson récurrent les emboîtant tels les deux morceaux d’une seule et même créature, telle enfin l’étreinte de Julien et du lépreux qui achève le conte.

L’hôte est fait de milles strates, et plonger dans sa contemplation est comme se livrer à une vision oraculaire. Des lèvres invisibles énoncent les vers de Rainer Maria Rilke. C’est ainsi que débute la performance conçue par Bénédicte Le Lamer. C’est comme regarder ensemble un même rivage, ballotté par le ressac qui secoue l’âme du poète. Les mots se fracassent comme autant de vagues dissolvant l’être. C’est ainsi que l’on peut recevoir cette forme complexe : une pièce où les mots feraient table rase de sorte que les corps dansants puissent nous faire entendre « la nouvelle qui ne cesse de se former du silence ».

 

© Elise Garraud

 

L’hôte, mise en scène de Bénédicte Le Lamer

Avec : Marion Faure, Nathan Freyermuth, Alexandre Bachelard, Bénédicte Le Lamer

Lumières : Romain de Lagarde

Régie son : Jonathan Reig
Regard costumes : Elise Garraud

 

Durée : 1 h 15

 

Mercredi 2 et jeudi 3 novembre 2022 à 20 h 30

 

 

Ménagerie de verre

12/14 rue Léchevin

75011 Paris

Tel : 01 43 38 33 44

https://www.menagerie-de-verre.org

 

 

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