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L’homme qui dormait sous mon lit, texte, musique et mise en scène de Pierre Notte, au Théâtre du Rond-Point

Jan 10, 2022 | Commentaires fermés sur L’homme qui dormait sous mon lit, texte, musique et mise en scène de Pierre Notte, au Théâtre du Rond-Point

 

© Stéphane Trapier

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Un bon émigré est un émigré mort. Voilà sans doute la solution au grand remplacement qui se fait attendre. Dans cette dystopie signée Pierre Notte, « cette farce lamentable », il n’y a pas de migrants. Du moins sont-ils invisibilisés, ce qui est sans doute bon pour les statistiques, par l’enjeu d’un étrange et juteux marché où chaque propriétaire qui héberge un émigré reçoit une allocation. Mieux même, s’il se suicide, une prime supplémentaire. Mais attention, on n’est pas des monstres non plus, si on incite à sauter par la fenêtre, on ne le pousse pas de soi-même. Nuance. Et foin de culpabilité… Pour l’heure notre réfugié accueilli par Madame dans son étroit studio encombré de merdouilles, fait son trou sous le lit d’icelle comme on met la poussière sous le tapis. Là, il y cultive ses tomates en clandestin. Madame exaspérée a beau lui indiquer où sont les lames de rasoirs, préparer la mort au rat, rien n’y fait, notre migrant refuse de céder aux injonctions de plus en plus impératives de sauter le pas et par la fenêtre si possible. Rien ne va plus, adieu donc la prime. Une médiatrice, comédienne en intermittence, tente de réconcilier les deux parties en guerre. Tout est bien qui finira bien cependant ; à défaut de lui faire la peau, découvrir la peau de l’autre fera beaucoup et plus encore pour une réconciliation des peuples.

Pierre Notte signe et met en scène une fable féroce et jubilatoire. C’est un conte noir et comme dans tout conte l’horreur et l’innommable sont permis, la bien-pensance jetée aux orties, la morale troussée cul-par-dessus-tête, pour dénoncer le pire et l’abjection. Ce fin observateur de notre société déliquescente, moraliste inquiet et narquois d’une sale époque foutraque qui voit émerger un extrémisme décomplexé et rance où la France aux Français tient lieu de programme nauséabond, où le karcher serait la solution à certains de leurs problèmes, imagine un monde enfin parfait où la question migratoire est traitée de façon radicale et efficace. C’est diablement vachard et tordu, humour pince-sans-rire et macabre, mais d’une finesse sans égale sous le trait faussement épais de la farce. Dans ce décor abstrait, le plan d’une chambre simplement marqué au sol que découpe la lumière, où seul trône un tabouret de piano, siège de tous les assauts pour asseoir son autorité ou se balancer par la fenêtre, ils sont trois à se faire salement la guerre entre deux secousses sismiques. Le monde tremble et le plancher se lézarde, leurs certitudes aussi. Et c’est ce lent délitement de leurs convictions ancrées, faites de clichés têtus sur « l’autre », qui conduira à une réconciliation finale et heureuse. Oui, aussi sombre et désespérante que soit cette dystopie la morale en est heureuse. Pierre Notte sans être un doux rêveur est un incurable optimiste qui s’amuse avec malice et alacrité, non sans gravité, à exploser les préjugés qui nous aveuglent de part et d’autre. Ainsi Madame qui s’étonne et s’agace qu’un migrant puisse parler aussi correctement le français jusqu’à reprendre ses fautes récurrentes de grammaire. Impensable. Ce sont aussi des corps empêchés qui s’évitent et se retiennent. A peine se frôlent-ils dans cet espace si étroit où la promiscuité obligée vire au cauchemar… La peur de l’autre toujours. Et c’est cette difficile appréhension du corps de l’étranger qui est aussi dénoncé là. Mais il suffit d’un rien, d’une bandaison opportune, pour que tombent soudain les préventions.

Surtout Pierre Notte, de son écriture si pointue, de sa plume sergent-major trempée dans l’acide, dresse le portrait de trois drôles de zèbres, personnages en proie à leurs propres contradictions, quelque peu déboussolés devant une situation qui leur échappe, des convictions qui se font la malle, et dont ils se dépatouillent comme ils peuvent. Et ils sont formidables ces trois-là qui jouent du premier degré comme du second, et même du troisième, font d’une tragédie possible un numéro de clown et vice et versa. Muriel Gaudin (l’accueillante) et Clyde Yeguette (le réfugié) c’est Foottit et Chocolat chez les fachos… avec Silvie Laguna (la modératrice), royale et telle qu’en elle-même dans son propre rôle, en Madame Loyal pousse-au-crime. Pierre Notte signe une mise en scène bien secouée, légère et vive, qui fait fi de la vraisemblance pour mieux en extraire une vérité pas jolie-jolie sous le vernis de la farce. Mise en scène par le vide, ni décor ni accessoire, pour laisser toute la place à nos histrions, ce trio infernal et monstrueux qui visiblement s’en donne à cœur joie à jouer de notre mauvaise conscience, et au texte qui claque, de répliques assassines en réparties fielleuses. Juste, si juste. Jusqu’à embarquer le public dans cette sale affaire, interpellé, complice et témoin malgré lui de cette « farce lamentable » comme le proclame Silvie Laguna. C’est toute la finesse et la force de Pierre Notte de nous asséner nos quatre-vérité, de fouailler et cingler le grotesque de nos préjugés imbéciles sans que nous osions broncher mais pour y trouver malgré tout une étincelle d’humanité. Quand même !  Tout est bien qui finit bien, soit, mais nous sommes au théâtre, ne l’oublions pas tintinnabulent Pierre Notte et notre conscience devant la réalité. Et si une valse peut réparer nos lâchetés alors, pour reprendre Pina Bausch, « dansons, dansons, sinon nous sommes perdus. » On peut encore rêver…

 

© Stéphane Trapier

 

 

L’homme qui dormait sous mon lit, texte, musique et mise en scène de Pierre Notte

Avec Muriel Gaudin, Silvie Laguna et Clyde Yeguette

Eclairagistes Éric Schoenzetter

Arrangements musicaux Clément Walker-Viry

 

Du 7 au 30 janvier 2022 à 20 h 30

Dimanche 15 h, relâches les lundis

 

Théâtre du Rond-Point

2bis avenue Franklin D. Roosevelt

75008 Paris

 

Réservations 01 44 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 

Tournée

10, 11, 12 février 2022 Fort de France (97)

2 mai 2022 Coye-la-Forêt (60)

 

 

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