© Jean Louis Duzert
ƒƒƒ article de Sylvie Boursier
Leurs enfants après eux, c’est l’histoire d’une vallée dans l’est en 1992 quand tout ferme. Durant quatre étés, on suit deux jeunes avec leurs amis et leurs proches, quatre années de vie dans cette France profonde des villes moyennes et petits bleds qui aime Nirvana, Cyndi Lauper, Johny Halliday, les canons de Navarrone et le Picon bière. Ils veulent partir, foutre le camp d’ici mais n’ont aucun moyen de le faire. Alors ils se prêtent les vieilles bécanes de leurs pères, s’éclatent au feu d’artifice et regardent le foot. On voit la lente désagrégation des familles, les pères qui ne reconnaissent plus leurs enfants et vice versa, les femmes usées à 20 ans, ça sent la clope, les gaz d’échappement, la rage contenue et le désespoir comme dans la chanson de Jacques Brel « chez ces gens-là, on ne s’en va pas, Monsieur, on s’en va pas. »
Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu prix Goncourt 2018 est un roman naturaliste, dans la veine de Zola. L’auteur a un talent d’observation étonnant, le sens du détail, de l’annotation qui fait mouche ce qui donne à son écriture un grand réalisme. Son regard est sans espoir, même la culture ou l’éducation ne peuvent rien, le choix d’ancrer l’action pendant quatre étés montre bien le peu d’importance qu’à l’école sur ces jeunes.
Hugo Roux, le metteur en scène, ressent une profonde révolte sociale qu’il exprime en adaptant de grands textes littéraires, Bruckner, Wedekind et ici Nicolas Mathieu. Les 430 pages de texte se transforment en 1 h 50 de théâtre avec trente personnages et sept comédiens. A quand les raisins de la colère de Steinbeck ? Son adaptation nous tient en haleine de bout en bout et respecte l’écriture de l’auteur. On est suspendu à l’enchaînement rapide de petites séquences dialoguées alternant avec des adresses face public. La langue de Nicolas Mathieu est factuelle, pauvre en émotions, dépourvue de toute métaphore lors des échanges sur le vif comme si les personnages étaient détachés du cours de leur vie, ne rêvaient plus, sans aucune analyse. Les monologues ou commentaires adressés au public sont au contraire d’une grande profondeur et témoignent d’une hybridation entre oralité et langue littéraire « le problème d’une vie sans alcool c’est le temps, survivre à cette noyade des rapports, cette boue des autres …] Patrick boit en athlète, cette soif n’a pas d’autre fin que le cimetière ».
Apres une scène d’exposition sur une sorte de terrain vague ouvert et herbeux avec l’ensemble des protagonistes, l’intrigue se resserre autour de deux familles celles d’Anthony et de Hacine, l’espace du plateau se remplit de murs, de parpaings comme pour figurer l’enfermement progressif de ces jeunes qui prendront la suite de leurs aînés, seront manutentionnaires chez Darty ou caissiers à Franprix, et leurs enfants après eux. On est dans l’Assommoir avec la lente plongée du père dans l’alcool et la dépression de la mère jouée par Lauriane Mitchell. Il faut l’écouter dans un rare moment de répit, à la piscine, comme étrangère à son propre corps avec les rayons de soleil éclairant son visage happé par le vide. Dans l’autre famille, d’origine algérienne le père est devenu mutique, ruminant sa défaite depuis la fermeture de l’usine. Même l’amour est sans espoir. Dans la salle bourrée à craquer, des jeunes en majorité qui rient par moments, de gène, d’émotion ? Car franchement, il n’y a pas de quoi rire.
Les comédiens assument tous les rôles avec une grande maturité de jeu et le sens du collectif. Edouard Sulpice dans le rôle d’Antony est bouleversant d’humanité, tout en retenue, il faut soutenir son regard à la fin lorsqu’il conclut « cette empreinte que la vallée avait laissé dans sa chair. L’effroyable douceur d’appartenir. » Allez les voir de toute urgence !!
© Jean Louis Duzert
Leurs enfants après eux, d’après Nicolas Mathieu, adaptation et mise en scène d’Hugo Roux
Lumière : Hugo Fleurance
Costumes : Alex Costantino
Scénographie : Juliette Desproges
Son : Camille Vitté
Jeu : Tristan Cottin, Soufian Khalil, Jeanne Masson, Adil Mekki, Lauriane Mitchell, Eva Ramos, Edouard Sulpice
Du 7 au 29 juillet à 22h15
Relâche les mardis 12, 19 et 26 juillet
Durée 1 h 50
Théâtre 11
11 bd Raspail, Avignon festival off
Réservation : 04 84 51 20 10
Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu éditions Actes sud, 2018
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