À l'affiche, Critiques // Let me try, d’après Journal (1915-1941) de Virginia Woolf, Isabelle Lafon, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis

Let me try, d’après Journal (1915-1941) de Virginia Woolf, Isabelle Lafon, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis

Mar 10, 2018 | Commentaires fermés sur Let me try, d’après Journal (1915-1941) de Virginia Woolf, Isabelle Lafon, Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis

© Pascal Victor

ƒ Théodore Lacour

Une scénographie des plus dépouillée, un dispositif simple où les trois comédiennes tissent leurs paroles extirpées du Journal de Virginia Woolf pour ensuite s’échapper du trio, prendre place en avant-scène et s’élancer dans un flux qui se déroule tel une rivière parsemée de rochers, de rapides, de brusques écarts et de débit plus réguliers, plus constants. Ce cours d’eau c’est celui de la pensée de Woolf ; cette femme singulière auteure qui disait vouloir écrire autrement, inventer une nouvelle forme et tenter de capter la vie et les sensations qui lui sont inhérente dans leur totalité – travail titanesque, impossible et jamais satisfaisant…

Nous sommes embarqués par les évocations, les pensées, les doutes, les contextes historiques et les récits personnels qui se faufilent dans les prises de parole de ces trois femmes – piliers de cette proposition qui parcourt l’ensemble du Journal de Virginia Woolf en débutant pendant la « grande guerre » et en se terminant en plein milieu de la seconde guerre mondiale.

Cette proposition cohérente dans son approche, qui ne déborde pas d’extravagance, a le mérite de vouloir rendre les mots et l’univers de Virginia Woolf et de nous la faire « rencontrer », de nous rendre accessible cette personnalité souvent affublée d’une l’idée de complexité inatteignable, d’une trop grande opacité dans son écriture. Et en cela, cette tentative est réussie.

On regrettera néanmoins que cette proposition ne se risque pas – alors même que les passages choisis parlent de cette question du risque – à une proposition plus audacieuse qui sortirait du réalisme d’un bureau d’archives ou de celui de l’auteure, qui sortirait de costumes en rapport avec l’époque…

La proposition est sage, classique dans sa forme alors même que ce cours d’eau heurté et chaotique – comme le sens nous le fait entendre – de l’œuvre woolfienne permettrait autre chose, un ailleurs : oser une forme parsemée d’incertitudes et d’aléatoire ; de fulgurances, d’heureuses coïncidence et de ratages toujours possibles comme métaphore de la recherche de Virginia Woolf.

Cet ailleurs que la direction d’acteur propose dans une parole enthousiaste au débit très rapide, dans des corps ou des visages parfois pris par une sorte d’excitation comme pour donner une idée du foisonnement, du désir d’absolu et de l’impossibilité – envoutante et dévastatrice – de ne pas pouvoir tout nommer en même temps. Les comédiennes qui s’en débrouillent bien – se heurtent quand même à des mots écorchés d’une part et à une possibilité pour nous, public, de goûter ne serait-ce qu’un instant à la beauté de cette écriture de la sensation, si dense, si sensible et si particulière. De nous laisser le temps de nous perdre… sans nous expulser hors du cercle de lumière dans lequel elles se retrouvent en fin de spectacle : ce point focus, cette lumière incandescente de l’écriture après que la Cavatine de Beethoven nous donne à sentir que nous sommes en train de passer de l’autre côté du miroir, de la vie.

On regrettera de même une forme d’incarnation, même si bien interprétée : nul doute que nous sommes face à des actrices, de la figure de Woolf au détriment d’une parole plus simple, plus directe, celles des interactions des comédiennes entre elles lorsque cela advient, une simplicité qui une fois encore laisserait plus de place à la langue, à la poésie, à cette forme nouvelle que l’auteure cherchât sans cesse : « Ce que je veux, c’est plonger dans les profondeurs, c’est exercer pour une fois mon droit d’examiner les choses et non d’agir sur elles, d’entendre les vagues bruits ancestraux des mammouths et des branches brisées, c’est m’abandonner à mon désir irréalisable d’embrasser l’univers dans un seul acte de compréhension ». in Les Vagues.

 

Let me try, d’après Journal (1915-1941) de Virginia Woolf

Traduction  Micha Venaille
Adaptation et mise en scène  Isabelle Lafon

Avec  Johana Korthals Altes, Isabelle Lafon, Marie Piemontese

Collaboration artistique  Marion Canelas
Création lumière  Marion Hewlett, Patrice Chevalier
Costumes  Agathe Mélinand et Nathalie Trouvé

Du 07 au 25 mars 2018

Du lundi au samedi : 20h30, dimanche 16h00 – relâche le mardi
Durée : 1h15

Théâtre Gérard Philipe
Centre Dramatique National
59 boulevard Jules-Guesde
93207 Saint-Denis

M ° ligne 13 : Saint Denis Basilique et 8 min à pied

Réservations : 01 48 13 70 00

http://www.theatregerardphilipe.com

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