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Les possédés d’Illfurth, texte de Yann Verburgh en collaboration avec Lionel Lingelser, mise en scène et interprétation de Lionel Lingelser, au Monfort Théâtre

Mar 25, 2021 | Commentaires fermés sur Les possédés d’Illfurth, texte de Yann Verburgh en collaboration avec Lionel Lingelser, mise en scène et interprétation de Lionel Lingelser, au Monfort Théâtre

 

© Jean-Louis Fernandez

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Hélios est jeune comédien. Il répète Scapin de Molière dont il est le premier rôle. Apprenant que la tournée passe par Mulhouse, ville de son enfance, la répétition devient étrangement chaotique. Hélios, contraint par le metteur en scène à se dévoiler, à être lui-même pour nourrir ce rôle qui lui échappe soudain, raconte. Les possédés d’Illfurth, dernier cas de possession en Alsace au milieu du 19ème siècle, Joseph et Thiebault Burner, sept et neuf ans, lesquels habitaient la ferme du grand-père d’Hélios. Lieu d’enfance et de terreur. De fil en aiguille c’est d’une autre possession dont il est question. Le viol, répété cinq ans durant, d’un enfant par un plus grand. Ce récit poignant est un exorcisme. Le théâtre l’outil d’une résilience. Hélios peut enfin, à Mulhouse, affronter le démon assis dans la salle, au premier rang, Bastien, son bourreau.

Il est des créations qui vous laisse K.O. debout. Par la grâce d’un comédien, par la force d’un récit. Là, sur ce plateau nu, avec une économie de moyen radicale, Lionel Lingelser irradie les planches et la salle de sa présence solaire. Hélios, le bien-nommé. Entré en fanfare sur le plateau, entrée théâtrale s’il en est, peu à peu, comme il lui est demandé par le metteur en scène de Scapin, il se dépouille de tout artifice, non sans douleur, pour atteindre une vérité qui vous poigne et ne vous lâche plus. Formidable Lionel Lingelser qui incarne avec un talent fou et trois fois rien. une invention formidable et une générosité sans faille, tous les rôles de ce récit ô combien sensible et captivant. Et il y a foule sur le plateau. Portraits, réels ou imaginaires, brossés avec un humour mordant, une vérité troublante. On ne pourra oublier cette répétition, où Hélios perd tous ses moyens devant un metteur en scène tyrannique − « le sorcier » − au bord de l’implosion. Mais où se dégage une vérité, une leçon de théâtre, cet engagement absolu qui vous fait chercher cette blessure intime, « tout au bord des plaies ». Cette leçon magistrale, théâtre dans le théâtre, exorcisme là aussi, est la clef sans doute de cette création qui enclenchera le récit. Et comment aussi ne pas hurler de rire devant le portrait d’une mère naturopathe, obligeant son fils à subir la veille de la première de Scapin, une séance dans son cabinet. Et puis cette scène de cauchemar où à lui seul Lionel Lingelser, déchaîné, évoque une nuit en Enfer, un véritable Sabah évoquant davantage une rave party techno sous acide que les cercles de Dante, où passe même, oui, la vierge Marie complètement stone… On rit beaucoup certes, mais nous sommes bientôt tout au bord des larmes avant de céder à l’émotion brute devant la honte d’un enfant traumatisé atteint d’énurésie évoquée dans une scène apocalyptique. Et que dire de l’évocation des viols subis et répétés exprimés là sans fard, avec la même peur au ventre et une rage désespérée… Bouleversant.

Mais les territoires de l’enfance sont ainsi faits que l’imaginaire devient le refuge des enfants meurtris et la promesse de leur résilience. Et c’est cela qui protège et sauve Hélios. Et c’est ce goût de l’enfance, même blessée, cette appétence joyeuse à jouer, à se jouer de tout et même du diable, que l’on devine sur le plateau et qui porte haut Lionel Lingelser. Pourtant pas de complaisance, de voyeurisme et de pathos, c’est d’une pudeur dans l’impudicité, d’une douceur âpre dans la cruauté… Confession poétique, récit intime, épopée théâtrale, catharsis, tout cela à la fois, le corps jeté crânement dans la bataille, sans masque, à nu, ainsi Lionel Lingelser sans concession, avec l’aide précieuse de l’auteur Yann Verburgh, exorcise ses démons et reprend, libre enfin, possession de lui-même et de la scène.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

Les possédés d’Illfurth de Yann Verburgh en collaboration avec Lionel Lingelser

Mise en scène et interprétation Lionel Lingelser

Collaboration artistique Louis Arène

Création lumière Victor Arancio

Création sonore Claudius Pan

Régie Ludovic Enderlen

Coproductions La filature, scène nationale de Mulhouse, Scène de rue-Festival des Arts de la rue

 

Création présentée aux professionnels au Monfort Théâtre les 19 et 20 mars 2021

 

 

 

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