© L.A Dubos
ƒƒ article de Hoël Le Corre
Dès le titre, Les plaines de la calamité nous embarque dans un ailleurs. Dans cet ailleurs lointain et passé : celui du Western, de la poussière, des cowboys et des duels. C’est avec cette distance temporelle et spatiale qu’Alice Schwab a choisi de traiter un sujet brûlant d’actualité : le non-dit au sein d’une famille « dysfonctionnelle ».
Le décor : un bar, ou plutôt, un saloon ou… ce qu’il en reste. Autrefois fréquenté et florissant, ce lieu d’alégresse et de griserie est aujourd’hui abandonné de tous. Il n’est plus désormais que le lieu de vie d’une famille en faillite, comme un îlot de désolation posé au beau milieu d’une vallée désertée ; une maison en ruine qu’un cercle de femmes tente de maintenir à flots tant qu’il reste une flamme de vie à un père mourant. Quand survient Martha, sorte d’enfant prodigue inversée, partie sans dire un mot et revenant après dix années d’absence dans sa belle robe de bal noire, financièrement aisée et accompagnée d’un solide « cowboy ». Ce retour va transformer la maisonnée en théâtre de retrouvailles, qui, on le sent, n’ont rien de chaleureuses, et s’avèrent au contraire tendues autant qu’extravagantes.
Dans une mise en scène précise et marquée par un ton décalé et un humour venant sans cesse désamorcer les situations épineuses, l’ambiance de la pièce prend ainsi un tour aussi étrange que peut être mystérieuse une ambiance familiale soumise à des secrets. Malgré une « inquiétante étrangeté », on comprend progressivement les liens qui unissent ou séparent les personnages et apparaît en creux un passé lourd de conséquences. L’interprétation toute en finesse des comédien.nes nous invite à nous attacher à chacun.e des protagonistes dont la personnalité se dessine peu à peu. Il y a la cadette abimée mais pleine de rêves, son aînée délicate et sensible, la mère évaporée et qui tente de garder la face. Et puis, il y a ce père, omniprésent, à défaut d’être encore vigoureux. Représenté par une marionnette, son ombre règne encore sur sa famille. La métaphore de cette marionnette, muette et totalement dépendante de ses filles qui lui permettent de se mouvoir, est astucieuse car elle permet à Alice Schwab de ne pas donner voix au bourreau : on les a assez entendus…
Par son écriture incisive et portée par un jeu tenu, la pièce s’avère être une allégorie efficace des calamités de notre époque : intimes, sociétales, économiques… Toutefois, malgré l’engagement certain des comédien.ne.s, l’atmosphère étrange peine parfois à nous transmettre totalement les ébranlements ressentis par chacun des personnages, et on reste légèrement en retrait, plus emballé par le jeu que par l’histoire. Même si on ne peut nier qu’une des scènes, celle d’une chorégraphie rituelle hebdomadaire nous a réellement transportés, en faisant passer énormément d’émotions par le corps, sans parole justement… Ce genre de trouvailles de mise en scène donne tout son sel à ce spectacle, et fait des Plaines de la calamité un objet théâtral intéressant à découvrir.
© L.A Dubos
Les Plaines de la Calamité, texte et mise en scène d’Alice Schwab
Avec : Marine Arena, Laurence Côte, Rémi Giordan, Noé Hermelin, Marie Narbonne, Leonor Oberson ou Romane de Stabenrath (en alternance) et une marionnette
Intentions chorégraphiques : Lilou-Magali Robert
Scénographie : Angèle Prédan et Alice Schwab
Costumes : Louise Depardieu, Temuleen Nyamdorj et Caroline Schwab
Marionnettes : Caroline Schwab – Atelier cinq à 10
Création sonore : Clément Ferrigno
Création lumière : Zoé Ritchie
Production : Compagnie Prosodie
À partir de 14 ans.
Du 12 avril au 3 mai 2025
Mardi et jeudi à 19h
Samedi à 18h
Durée : 1h20
Théâtre de la Reine Blanche
Scène des Arts et des Sciences, Grande Salle
2 bis passage Ruelle
75018 Paris
Réservations : 01 40 05 06 96
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