À l'affiche, Critiques // « Les Pâtissières » de Jean-Marie Piemme, mise en scène Nabil El Azan au Vingtième Théâtre

« Les Pâtissières » de Jean-Marie Piemme, mise en scène Nabil El Azan au Vingtième Théâtre

Déc 20, 2014 | Commentaires fermés sur « Les Pâtissières » de Jean-Marie Piemme, mise en scène Nabil El Azan au Vingtième Théâtre

ƒƒƒ article de Victoria Fourel

patissieres_gle-306-1024x682Elles sont trois sœurs. Elles ne sont plus très jeunes. Elles ont toujours vécu ensemble, autour de la pâtisserie familiale. Elles arpentent dans ce spectacle leurs souvenirs de pâtissières, de femmes et de sœurs et racontent comment la société moderne a toqué à la porte de leur petit commerce, sous les traits d’un promoteur venu racheter la pâtisserie Charlemagne.

Les trois comédiennes prestigieuses se coupent, se moquent d’elles et des autres, dans cette comédie enlevée de Jean-Marie Piemme. Elles y parlent de leur cher papa et des hommes, de leurs enfants (ou de l’absence d’enfants), dans un texte à la fois suranné et moderne, servi dans une diction parfaite et pleine de gourmandise. On a le goût des mille-feuilles, mais aussi celui des quolibets à l’adresse du promoteur (« puant comme une bite de rat », comme le décrit la plus opiniâtre et faussement glaciale des trois sœurs). Elles jonglent entre le personnage qu’elles jouent dans la fratrie – que ce soit l’aînée qui aimerait servir d’exemple, ou la plus jeune, aux allures naïves – et celui de chefs de l’adresse Charlemagne. Elles content ainsi aux spectateurs ce qu’elles avaient, ce qu’elles ont perdu, et ce qu’elles garderont précieusement contre elles.

Dans cette pièce, on voit bien sûr la combativité du petit commerce coloré, et sa chute face à notre société moderne. On en rit, car mieux vaut en rire, tout en sachant que la loi de la jungle est cruelle, et qu’au-delà du paysage, c’est toute une « dynastie » qui perd son histoire. Mais le texte va plus loin. Comme le dit lui-même son auteur, comment ne pas parler de la fin de la vie quand c’est la fin de l’entreprise familiale, dont les trois sœurs sont les représentantes ? En adressant leurs souvenirs directement au public, les personnages donnent à voir toute la solidarité de la fratrie, les vieux bonheurs de la vie de pâtissière, les regrets de femme (et si Lili avait été chanteuse lyrique ?) et la vieillesse, qu’on aborde en guerrières, et ensemble encore. Mais là où le spectacle se démarque, c’est que ce n’est jamais triste, ce n’est jamais las, ce n’est jamais perdu. On a le droit d’être nostalgique, mais jamais d’être mélancolique. On parle de tout, on rit de tout, et tout ira bien.

patissieres_gle-110-682x1024Ensemble, c’est le mot qui prime ici. Les voix se coupent et se complètent, le texte est ciselé, plein de la spontanéité de la défense, et même le décor nous offre cette histoire comme un tout. Il représente l’intérieur de la maison qu’elles vont, ou ont quitté, dont les meubles auraient été enfermés dans des boîtes en bois, prêtes au déménagement. Sorte de radeau au milieu du très beau plateau du Vingtième Théâtre, il est mouvant et sert de base dynamique aux différentes scènes, grâce à des tiroirs et des empilements. Ainsi, on a assez vite la sensation que les trois pâtissières sont sur le départ, mais que même là, rien ne se sépare, rien ne s’effondre, ce n’est pas comme ça que ces personnages voient la vie.

La simplicité apparente du décor et du déroulé (une musique et une lumière uniques pour les changements de disposition et d’épisodes, l’adresse directe aux spectateurs, qui donne un côté « conte » au spectacle), assignent à la pièce un premier goût un peu gênant de déjà-vu qui peut même la faire paraître un peu scolaire, goût très vite adouci par les couleurs de jeu variées des trois actrices. Elles s’amusent, elles aiment leur personnage, elles ont des voix, des corps, sont tour à tour farceuses, sexy, dangereuses, complices, rivales. Techniquement, c’est parfait, en offrant en plus une belle et bruyante réponse à ceux qui pensent connaître les petits commerces, les vieilles, les pâtissières et les femmes en général.

Ces pâtissières qui crient que si l’on se dit qu’on est vieille, on est déjà morte, que quand on va chez la pâtissière, on prononce le nom du gâteau qu’on veut avec amour, que le promoteur n’aura jamais les souvenirs qui vont avec la maison, montrent ce que l’on fait de vraiment bien au théâtre : du divertissement qui a des choses à dire, de l’humour cinglant relevé au sucre glace, de la tendresse et de la jouissance malgré la fin des histoires qui arrivent toujours.

Les Pâtissières 
Texte Jean-Marie Piemme
Mise en scène Nabil El Azan
Décors Sophie Jacob
Costumes Danièle Rozier
Lumières Philippe Lacombe
Avec Chantal Deruaz, Christine Guerdon et Christine Murillo

Du 18 décembre 2014 au 22 février 2015

Vingtième Théâtre
7 rue des Plâtrières – 75020 Paris
Métro Ménilmontant et Gambetta
www.vingtiemetheatre.com
réservations 01 48 65 97 90

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