© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Hoël Le Corre
En 2015, suite au plan de licenciements de 2900 emplois chez Air France, l’image de deux DRH et leur chemise arrachée tournent en boucle dans les médias. Les caméras et les commentaires s’attardent alors sur la violence du geste des salariés qui s’en sont pris à leurs supérieurs sans réellement prendre le temps ni la peine de détailler le contexte. On l’aura compris, le titre procède par antiphrase et Les Moments doux corrigera ces lacunes en choisissant d’explorer des situations à l’orée d’un potentiel passage à l’acte. À moins que ce spectacle ne cherche justement à débusquer la violence à l’œuvre ailleurs, celle des oppresseurs, ceux qui ont le pouvoir, la supériorité, voire la loi avec eux.
Suivant leur procédé habituel, les metteurs en scène Élise Chatauret et Thomas Pondevie ont d’abord mené un travail d’enquête, en interrogeant cette fois-ci une cinquantaine de personnes : des « professionnels » (avocats, sociologues, historiens, philosophes) et « des experts du quotidien », (habitants de Fontenay, Nancy, Sevran et Béthune). En croisant les parcours et les réflexions, Les Moments doux met à jour la présence de cette violence aussi bien au sein d’institutions comme l’école ou l’entreprise qu’à l’intérieur-même de la famille.
La scénographie nous fait alors naviguer entre ces divers espaces publics, professionnels et intimes. D’un côté de la scène se déploie ainsi un bureau de DRH, sous forme d’open-space, de l’autre, un salon fait de quelques meubles, et enfin, une croquignolesque maquette de salle de classe fera régulièrement irruption sur la scène. On passe d’un lieu à l’autre avec une subtile fluidité, permettant de déployer la diversité de circonstances et petit à petit la question émerge : est-il encore possible, ou du moins légitime, voire valorisé d’appliquer au quotidien la loi du talion ? L’usage de la violence n’est-elle condamnable que si elle semble disproportionnée ? Quand bascule-t-on de la légitime défense à la vengeance ? Existe-t-il une autre violence que la violence physique ? Et qu’est-ce qui nous affecte le plus, en tant « qu’animal social » : la violence subie ou celle que l’on exerce ?
La scène de théâtre a ceci de particulier qu’elle illustre le réel tout en étant un espace d’exploration, d’expérimentation et sous nos yeux les comédiens changent de rôles avec crédibilité et sans artifice, passant de l’oppresseur à l’opprimé, du dominant au dominé, du manageur au managé. Oscillant entre évocation de faits réels (les suicides chez France Telecom par exemple) et scènes plus allégoriques, les personnages, eux, se lancent dans des situations de plus en plus tendues, la tension monte et ils sont de plus en plus poussés dans leur retranchements. Le paroxysme émerge lors d’une séance de coaching de management d’entreprise où éclate l’injonction à être le meilleur, à dominer l’autre, quitte à le manipuler et abandonner tout respect. En poussant jusqu’à l’absurde, l’intelligence de l’écriture réussit à désamorcer l’éventuelle crispation des spectateurs. Teinté d’humour et de distanciation sur fond de réalisme quasi documentaire, Les Moments doux nous invite adroitement à réfléchir sur la gestion des rapports de force, et l’importance, tout comme les limites, de la communication…
© Christophe Raynaud de Lage
Les Moments doux, par la Compagnie Babel
Écriture : Élise Chatauret, Thomas Pondevie
Et la compagnie Babel
Mise en scène : Élise Chatauret
Dramaturgie : Thomas Pondevie
Avec : François Clavier, Solenne Keravis, Samantha le Bas, Manumatte, Julie Moulier, Charles Zévaco
Scénographie et assistanat à la mise en scène : Charles Chauvet
Construction décor : Les ateliers de la Comédie de Saint-Étienne – CDN
Costumes : Solène Fourt
Assistée de : Marion Morvan
Création lumière : Léa Maris
Création sonore : Lucas Lelièvre
Régie générale et plateau : Jori Desq, Caroline Costenoble
Régie lumière : Coline Garnier
Régie son : Alice Lemoigne, Jérôme Patrice
Administration et production : Maëlle Grange
Diffusion et développement : Marion Souliman
Du 19 au 30 mars 2025
Du mardi au vendredi à 19h30, le samedi à 18h30 et le dimanche à 15h30
Durée : 1h25
Théâtre du Rond-Point
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Réservations : 01 44 95 98 00
www.theatredurondpoint.fr
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