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Les Invites de Villeurbanne, Festival des Arts de la Rue

Juin 28, 2024 | Commentaires fermés sur Les Invites de Villeurbanne, Festival des Arts de la Rue

 

© Les Invites de Villeurbanne

 ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Les arts de la rue sont à la fête à Villeurbanne. En cette période de vents mauvais et de marée brune, cette rue pourrait bien (re) devenir l’épicentre de notre vie publique et politique. Assister à un événement tel que le Festival Les Invites de Villeurbanne c’est donc bien remettre les pieds au centre de l’échiquier, sentir combien cet espace-là (quand il n’est pas privatisé par certains potentats type LVMH) peut être effectivement lieu d’échanges en tout genre, de mixité sociale, d’immixtion poétique, de contradictions esthétiques. La rue n’est pas lisse même si les pavés n’y sont plus. La rue ne conduit plus à la place de grève mais nourrit un ferment d’espoir et la surprise gagne même le plus aguerri et blasé des spectateurs. Contrairement à Aurillac ou Chalon-sur-Saône, autres grands festivals très médiatisés, la programmation des Invites de Villeurbanne est entièrement « in » allongeant ainsi ses 100 représentations sur 4 jours quand les deux « grands » sont essentiellement « off ». Cela, il faut le dire et le clamer. Et s’en réjouir. Dans un contexte de précarité de plus en plus prégnante dans le milieu du spectacle vivant, les arts de la rue maniant pour bon nombre déjà une économie de bouts de chandelle sont probablement encore plus fragilisés que les autres. Les Ateliers Frappaz, centre national des arts de la rue et de l’espace public (avec l’autrice et metteuse en scène Nadège Prugnard à sa tête) et la municipalité de Villeurbanne en sont les coorganisateurs, et parce qu’ils financent entièrement sa programmation Les Invites de Villeurbanne peuvent se permettre le choix de l’exigence comme celui de l’éclectisme, sans omettre celui de la recherche. Croisée de parcours artistiques variés au croisement des rues. Cet engagement qualitatif s’accompagne d’une vision politique mise en acte : programmation plus que paritaire pour les femmes pour cette édition, accompagnement en coproduction par les Ateliers Frappaz d’un nombre significatif de projets, lecture de « textes en rue » d’autrices béninoises. Et plusieurs débats en plein air…

L’auteur de ces lignes, et pour l’occasion envoyé très spécial, aura pu notamment voir dans la même journée de samedi deux propositions bien distinctes mais toutes autant fracassantes et stimulantes de par le rapport qu’elles instituaient, chacune à sa façon, avec l’espace public.

A 11h pétante, toute affaire cessante, il y eut l’incroyable et extraordinaire Molière !, de la Compagnie Amaranta, tenu sur presque deux heures par un Martin Petitguyot survolté, tenant seul sa scène. Tout cela dans un site non moins enthousiasmant : le stade Lugdunum sise entre quatre barres d’immeubles. Molière est un sport collectif, qu’on se le dise, il y avait bien toute sa place et plus encore. Le comédien et son public installés donc dans un angle de cet immense espace. Conférence décalée, mais aussi très bien documentée en s’inspirant de la récente biographie de Molière par Georges Forestier qui renouvela complètement l’historiographie du sujet. Entendre la voix grave au micro de Martin Petitguyot résonner dans cette immense enceinte à la fois sportive et dortoir, était comme assister à une refonte du monde (comme si le Nouveau Front Populaire était déjà arrivé au pouvoir). La puissance de cette voix, son propos culturel, dans un espace qui habituellement est plutôt saturé de coups de sifflet et de commentaires sportifs, était proprement surréaliste. A la fois tribun, matamore, et ours mal léché, l’homme avait de quoi plaire. Les accents outragés et outrageurs ricochaient sur toutes les faces de l’espace. Mais surtout, ce Molière ! fait du théâtre tout en démystifiant ce qui a pu faire théâtre : les légendes associées à la figure de Molière, celle d’un artiste issu du peuple écrivant pour le peuple. Martin Petitguyot réussit à endosser les poncifs de la figure du comédien de rue, hâbleur, grande gueule, et à s’en tirer dans les grandes largeurs. Puissamment vivant, la démesure du lieu lui seyait comme un gant. Ce spectacle m’emporta. Populaire sans que cela soit un gros mot et quand bien même il en userait lui-même à foison lui-même, la chère Ariane en prenant pour son grade, également tous les petits marquis de ce monde, Stéphane Bern en tête. Quel bonheur de se serrer les coudes dans le plaisir de retrouver chemin faisant notre Molière. Osons le mot, ce Molière ! est un chef d’œuvre par son écriture et par sa performance.

Même si la fin de journée fut dramatiquement écourtée par des trombes d’eau, il me fut accordé d’assister et participer à une partie suffisamment conséquente de la déambulation performance intitulée Le pédé du collectif Jeannine Machine avant que la pluie en ait raison pour pouvoir m’en saisir et en écrire ces quelques lignes. Je n’en connaitrai donc pas la fin mais j’ose espérer qu’elle ne sera pas réécrite sur l’air sinistre de « Les pédés au bûcher » quand bien même les prochains week-ends électifs pourraient assombrir à nouveau cette histoire. Le pédé est donc une déambulation, mot vitrine qui peut en cacher un autre : manifestation ! Car effectivement le processus spectaculaire mis en œuvre par Jeannine Machine tient à la transformation d’un public en foule démonstrative. Cette création collective dirigée par Brice Lagenèbre (il endosse également la petite veste en cuir noir de la figure éponyme) suit un parcours physique dans les rues d’une ville tout en suivant la chronologie des luttes pour les droits des homosexuels dans la société. Il y aura, à New York, les évènements de  Stonewall débouchant sur la Pride de juin, ou Marche des Fiertés. Ici, en France, le « commando saucisson » arrêtant net une émission réactionnaire sur l’homosexualité de Ménie Grégoire sur RTL, des manifs de la CGT infiltrées par les groupes du FHAR (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) … Nous marchons et les luttes se succèdent. Brice Lagenèbre instaure un art de la reconstitution joyeuse, avec cette part ludique propre aux arts de la rue, dirige les slogans de la foule comme un chef de chœur, et, sans rien perdre de justesse historique, saisit cette matière à la manière d’une BD qui, en quelques traits, restituerait l’essence d’une histoire. Brice Lagenèbre n’en fait pas des tonnes, il est juste dans la gourmandise de croquer ses personnages, il inspire la confiance, la sympathie, il nous parle avec la bonne distance qu’il faut pour cela entre poétique et politique, il est notre leader sans avoir à hausser la voix. En introduction il aura eu ces mots qui pour moi firent mouche : l’espace public n’était pas ouverts aux homos en tant qu’homo… alors cette déambulation, didactique dans son propos sans perdre de sa festivité, on pouvait la vivre aussi comme une réparation en acte, comme une nouvelle prise de la Bastille, cette prison des haines tenaces dont on ne viendra jamais à bout.

 

© Les Invites de Villeurbanne

 

 

Festival Les Invites de Villeurbanne

Du mercredi 19 au samedi 22 juin 2024

www.invites.villeurbanne.fr

 

Molière ! mise en scène, écriture, jeu : Martin Petitguyot

Complices : Gwen Aduh, Bernard Daisey, Josée Drevon, Chantal Joblon, Eric Petitjean, Jacques Ville

Le pédé

Création collective dirigée par Brice Lagenèbre

Écriture : Brice Lagenèbre, Sarah Daugas Marzouk et Marlène Serluppus

Mise en scène : Sarah Daugas Marzouk, assistée de Marlène Serluppus

Jeu : Brice Lagenèbre

Régie son, plateau et scénographie : Céline Bertin

Décoration : Marie Bernardin

Costumes : Marlène Serluppus

Création musicale : Marc Prépus et Nora Couderc

 

 

 

 

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