Critiques // « Les Idiots », d’après Lars von Trier, mise en scène de Kirill Serebrennikov, cour du lycée Saint Joseph

« Les Idiots », d’après Lars von Trier, mise en scène de Kirill Serebrennikov, cour du lycée Saint Joseph

Juil 08, 2015 | Commentaires fermés sur « Les Idiots », d’après Lars von Trier, mise en scène de Kirill Serebrennikov, cour du lycée Saint Joseph

ƒ article de Florent Mirandole

avignon-les-idiots-de-lars-von-trier-se-reinventent-en-langue-russe,M237513© Alex Yocu

Baver en public, faire du patin dans un appartement ou encore se frotter contre sa sœur est-il subversif ? Le metteur en scène russe Kirill Serebrennikov reprend près de 17 ans après le film acide du danois Lars Von Trier pour l’adapter au théâtre. Fidèle aux principes du dogme95 érigé un temps comme loi d’airain de tout un courant cinématographique, le metteur en scène russe brandit bien haut la force subversive inchangée de ces faux idiots décidés à tester les valeurs de tolérance de la société en jouant les imbéciles. Mieux, le metteur en scène présente son projet plus dangereux encore politiquement, soulignant la plus forte propension de la société russe à régler les conflits dans le sang.

Rentrant dans la cour du Lycée Saint Joseph plein de promesses, on en ressort légèrement déçu. Le respect religieux du carcan esthétique du Dogme95 d’abord, affiché sur tous les écrans de télé qui parsèment la scène, ne crée pas la révolution esthétique annoncée. La mise en scène dépouillée et à l’aspect lo-fi des décors n’est tout compte fait pas si éloignée d’une mise en scène sans budget que l’on peut retrouver pas très loin, dans certains spectacles du Off. Mais c’est surtout à propos du caractère subversif que la déception est la plus forte. En adaptant la situation danoise au contexte russe, l’auteur pensait « revitaliser » le film de Lars Von Trier. Or l’affrontement avec le conservatisme russe apparaît bien pale comparé à certains portraits de la société russe faits dans le cinéma ou le théâtre récemment.

L’acheteur de l’appartement, les ouvriers ou encore la professeure d’aérobic, personnages tous créés pour l’occasion par Serebrennikov, s’avèrent bien inoffensifs. L’homophobie ou l’injustice qui apparaissent tout de même dans certaines scènes ne sont ici que suggérés, et ne débouchent jamais sur des affrontement violents. Seule la scène d’ouverture, à mi-chemin entre le procès de Pussy Riot et le portrait de la justice déjà vu dans le film « Leviathan », s’avère terrifiante.

Ces nouvelles scènes « russisées » amènent toutefois beaucoup à cette nouvelle version des Idiots. Si elles ne sont pas plus subversives que les scènes du film, elles sont infiniment plus drôles. La sortie à la piscine ou la rencontre des ouvriers, sont deux moments de pure comédie. L’ajout de scènes ralentit bien évidemment la pièce, mais le portrait de la société russe y gagne en originalité.

Ces idiots-ci se révèlent au final bien moins subversifs que leurs homologues danois. Reste la scène de clôture, ou un groupe d’enfants réellement trisomiques entre sur scène. Est-ce que l’auteur voulait couronner sa pièce en visant un sommet de malaise ? Le résultat est réussi, mais l’idée est profondément dérangeante. C’est peut être par cette dernière invention que l’auteur russe atteint finalement son but, déranger le public.

« Les Idiots », d’après Lars von Trier
Mise en scène et costumes Kirill Serebrennikov
Texte et dramaturgie Valery Pecheikin
Scénographie Kirill Serebrennikov, Vera Martynova
Chorégraphie Alevtina Rudina
Lumière Igor Kapustin
Production Gogol Center (Moscou)
Avec Julia Aug, Philippe Avdeev, Olga Dobrina, Ruslana Doronina, Oksana Fandera, Sergey Galakhov, Alexander Gorchilin, Oleg Gushin, Ilya Kovrizhnikh, Olga Naumenko, Alexandra Revenko, Ilya Romashko, Artem Shevchenko, Semen Steinberg, Harald Thompson Rosentsrom, Anton Vasiliev

Du 6 au 11 juillet 2015

Festival d’Avignon
cour du lycée Saint Joseph
www.festival-avignon.com

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