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Les Grands rôles, par Les Mauvais élèves, mise en scène de Shirley et Dino, au Théâtre du Lucernaire

Fév 14, 2019 | Commentaires fermés sur Les Grands rôles, par Les Mauvais élèves, mise en scène de Shirley et Dino, au Théâtre du Lucernaire

© Belle du Gabut

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Voilà une création désopilante très bien mal jouée. Les Mauvais élèves, cancres sacrément doués, s’attaquent aux classiques du théâtre. Tremblez Shakespeare, Corneille, Molière, Victor Hugo, Tchekhov, Rostand, Anouilh ! Tremblez spectateurs ! Scènes cultes revisitées, moulinées, essorées, éreintées, nos quatre comédiens culbutent, pulvérisent allégrement Richard III, Lucrèce Borgia, Médée, Ruy Blas, Juliette et autres personnages tragiques qui n’en demandaient pas tant… Et sous le haut patronage de Shirley et Dino à la manœuvre pour dynamiter avec bonheur et sans respect aucun, quoique, le répertoire classique. Patronage, oui c’est un peu ça, l’impression d’assister à un spectacle catastrophique de fin d’année sous la houlette d’une dame patronnesse très bon chic bon genre qui se piquerait de théâtre, improvisée metteuse en scène. Enfin, metteuse en scène faut voir comment. Sans peur du ridicule, qui ne tue pas sauf à mourir de rire. Les scènes s’enchaînent cahin-caha, à la va-comme-je-te-pousse, filée fissa. Parfois rien n’advient parce qu’on a oublié son tour, son texte ou que ce n’est tout simplement pas le moment. C’est le trou, le vide. Dans lequel le spectateur s’engouffre, hilare, secoué par le rire irrépressible qui le gagne très vite. On essai, on recommence, on rate, on rate encore et mieux (pour citer Beckett, seule caution sérieuse de cette chronique). Les personnages sont catapultés manu militari dans un univers complétement loufoque, décalé pour ne pas dire à côté de la plaque. Une Médée fellinienne en diable, haute en couleur, un morceau d’anthologie ça, déclamant son texte entre deux rumbas canailles digne de la Saraghina. Une lady Macbeth désarticulée version matrix. Un Hamlet et un Roméo version ukulélé. Un Cid égaré dans Kill Bill ou un improbable manga, bruitage inclus. Une Mouette qui louche vers Nauzyciel. La liste est longue des emprunts détournés et des idées farfelues, incongrues. Et pour le classique – enfin peut-on dire ça ici ? – montés avec la volonté ferme de faire sérieux, des solutions radicales et approximatives qui fleurent bon le cliché, le truc et le tic, le cours de théâtre et la cour des miracles. Ça déclame avec une voix d’oseille qui crisse comme une craie sur un tableau, ça improvise, ça se perd, ça revient. Rôles trop grands pour eux qui pataugent comme dans un costumes mal taillés et s’y prennent les pieds. On échange les rôles, Don Juan est une femme pour une traduction féministe de circonstance, et Juliette ma foi porte très bien la barbe. Le petit chat est bien mort et salement. Plus carambolage que collage, les scènes s’emboîtent, se tamponnent les unes aux autres. C’est explosif. Tout finit par se démantibuler. Jamais dans l’outrance, toujours juste même dans la parodie, le grotesque, le burlesque. C’est parfois quelques petits détails qui font basculer et détraquer l’ensemble dans le non-sens ou la folie furieuse. Ainsi la farce n’est jamais grossière. Il y a, bien malin, beaucoup de subtilité là-dessous, planquée sous l’à-peu-près d’une représentation ratée. Pas vraiment le temps de souffler, c’est à chaque fois la même question, que diable donc vont-ils encore inventer ? Certes c’est volontiers, volontairement potache et plus encore mais ces quatre-là épaulés solidement et couvés par Shirley et Dino ont un talent certain et une technique imparable. Vrais acteurs de compositions, voire de décompositions, clowns, improvisateurs, ils s’en donnent à cœur joie avec une générosité communicative. Plus hommage, qui aime bien châtie bien, qu’entreprise de démolition, ils font penser aux parodies de Robert Hirsch et Jacques Charon qui n’hésitaient pas à mettre en pièce le répertoire qu’ils servaient si bien. On le sent fort cet amour dingue du théâtre qu’ils dézinguent joyeusement, qu’ils servent avec brio plus qu’ils ne le desservent. Etrange paradoxe. Et il en faut du talent pour jouer si mal. Grands rôles certes mais grands comédiens !

 

© Belle du Gabut

 

Les grands rôles par Les Mauvais élèves

Mise en scène de Shirley et Dino

Lumières Jacques Rouveylloris

Costumes Les Mauvais élèves

Avec Valérian Béhar-Bonnet, Elisa Bénizio, Bérénice Coudy, Antoine Richard

 

Du 13 février au 21 avril 2019 à 21h30

 

Théâtre le Lucernaire

23 rue Notre-Dame-des-Champs

75006 Paris

 

Réservations 01 45 44 51 34

www.lucernaire.fr

 

 

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