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Les géants de la montagne de Luigi Pirandello, adaptation et mise en scène de Marie-José Malis, à La Commune CDN Aubervilliers

Fév 13, 2023 | Commentaires fermés sur Les géants de la montagne de Luigi Pirandello, adaptation et mise en scène de Marie-José Malis, à La Commune CDN Aubervilliers

 

© Nathanael Mergui

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Ce crépuscule sans fin, comme dans un rêve une vertigineuse chute sans fond, leur appartient. Ce silence souverain, taiseux, comme une plaine à perte de vue au pied des montagnes, où les paroles ne semblent que de frêles interstices reliant l’indicible, l’impossible, l’impensable, leur appartient également, superbement. Leurs visages fardés de blanc, mais plus sûrement encore, leurs visages tels des os blanchis lorsque tout nous sera pris, percent la peau de l’indistinct, bruissent de l’éclat de l’oracle. Entre chien et loup, entre comédien et magicien, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille remplie des mots du poète. Tous semblent nous faire signe depuis un désastre annoncé sans pour autant faire montre de désarroi. Bien au contraire. Comme le dit Pirandello avec justesse et justice, « il faut des poètes pour redonner de la cohérence au rêve ». Dans la bouche du magicien Cotrone, il fera dire encore la faillite de la poésie, et dans les mêmes mots pourtant, fera œuvre de poète. C’est ainsi proférer la mort du théâtre et pour autant faire théâtre, radicalement, irréductiblement. Un tel paradoxe n’a d’autre équivalent que la vie même.

Les géants de la montagne est une pièce inachevée de Pirandello, une fable dans laquelle s’insère une autre fable que le peuple ne veut plus voir jouer, La fable du fils substitué, rejetant la troupe de la comtesse Ilse qui s’est vouée à ce texte, ne lui laissant d’autre issue pour survivre que de rejoindre dans la montagne Cotrone et sa troupe de miséreux dont le secret est de n’avoir besoin de rien pour être riche de tout. Une frugalité à l’allure de page blanche, hospitalière à tous les gestes artistiques, asile de toutes les pensées. De l’incomplétude, de l’irrésolution de la pièce de Pirandello, quand bien même pointerait çà et là l’annonce du massacre des comédiens par le peuple, coupables de n’avoir su inventer un imaginaire neuf pour les temps nouveaux, de ne pas y avoir cru, Marie-José Malis crée au plateau un temps ouvert, sans borne, comme une pensée mythique engendrant les propres dimensions de sa physique, une étendue quantique aux mille reflets lyriques, hypnotique par le caractère inouï de la danse de ses affects. Il y a une hauteur de vue sans jamais nous perdre de vue, comme ces cintres visibles jusqu’au sommet de la cage noire de la scène déniant tout deus, et il y a aussi un souci de l’infime, comme au ras des pâquerettes, dans la précision du geste, dans le souffle du mot, dans la beauté concrète du costume, et ainsi voisinent et conversent les traits du réel et ceux de la représentation. Entre les deux, le théâtre de Marie-José Malis se déploie sans limite narrative, échappe à l’assignation, œuvre, encore plus que précédemment, à une présence de l’acteur qui rendrait possible une prescience du spectateur. Ils y excellent tous, magistralement. Dans le dépouillement de ses raisons d’être, le théâtre ne tient alors qu’au seul fil de l’être sans plus aucune raison. C’est le point originaire et ultime où les formes périssent et où elles réapparaissent inédites. Les tréteaux sont une charrette, à la fois véhicule d’un théâtre primitif et dernier voyage des condamnés. Pirandello a écrit ici un théâtre en état de crise, Marie-José Malis le donne à vivre, l’expérimente comme un processus où observer son propre art. Il y a du sublime dans ce temps qui s’exhibe avec la splendeur des vestiges et la puissance des renaissances. Les bouches déversent des trésors poétiques, et s’écartèlent entre les doigts comme de sombres gouffres ouvrant sur le néant, tels les visages grimaçants des peintures noires de Goya.

C’est dans le dénuement que se déjoue l’illusion, c’est dans le dévoilement de son corps glorieux mais corruptible que le théâtre peut faire événement, être l’avènement d’une vérité, offrir un nouveau regard jeté sur le réel, sans état d’âme, comme un bouquet lancé aux bras d’une comédienne.

 

© Nathanael Mergui

 

Les géants de la montagne, de Luigi Pirandello

Adaptation et mise en scène Marie-José Malis

Avec : Pascal Batigne, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Anne-Sophie Mage, Isabel Oed, Laurent Prache, Mohammad Muzammal Hossain Soheb

Stagiaires assistants à la mise en scène : Mattei Moreno, Lucie Ouchet

Scénographie : Jessy Ducatillon, Marie-José Malis, Adrien Marès

Contruction : Moustafa Benyahia, Adrien Marès, David Gondal, Inès Nicolas

Lumière : Jessy Ducatillon

Son : Patrick Jammes

Régie plateau : Adrien Marès

Costumes : Pascal Batigne

Confection des costumes : Pascal Batigne, Agathe Laemmel, Sophie Schaal

 

Durée : 3h05

Du 8 au 19 février 2023 à 19h30, sauf samedi 18h et dimanche 16h.

Relâche le lundi.

 

La Commune – CDN d’Aubervilliers

2, rue Édouard Poisson

93300 Aubervilliers

Tél : +33(0)1 48 33 16 16

https://www.lacommune-aubervilliers.fr/

 

 

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