© Morgane Moal
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier
Sans leçon de morale, ni condescendance, évitant les clichés de la victimisation, les stéréotypes et la complaisance, cinq comédiennes dont la metteuse en scène Lisa Guez, réussissent le tour de force, avec quatre chaises dans un décor nu, à démontrer que toute femme peut se défaire de son Barbe Bleue.
Les femmes de Barbe Bleue revisitent la figure du prédateur sexuel et serial killer du conte de Charles Perrault, non pas à l’heure #MeToo car la pièce a été créée avant son déclenchement, mais dans une transposition à l’époque contemporaine bénéficiant d’analyses qui ne sont pas des brûlots féministes même si le propos est bel et bien un discours féministe affirmé et assumé, et à juste titre. En s’appuyant notamment sur le formidable ouvrage de la psychanalyste Clarissa Pinkola Estés, Femmes qui courent avec les loups, l’homme n’est pas mis en simple position d’accusé, c’est un système de pensée ancestral qui est remis en cause et interpellé, passant par la responsabilité des femmes elles-mêmes.
L’écriture collective mise en forme par Valentine Krasnochok alliée aux personnalités très différentes des comédiennes/femmes à l’énergie dévorante, permet à chacune de se reconnaître à un moment de sa vie, dans une situation ou un moment particulier de son existence. Qui n’a pas succombé ou failli se faire prendre dans les rets d’un Barbe Bleue ? Rares sont celles qui peuvent répondre par la négative, car rares sont celles qui ne se sont pas interdit un temps, plus ou moins long pour chacune, toute liberté ou qui ne se sont pas senties obligées à un moment ou à un autre de jouer un rôle social fantasmé, de satisfaire des désirs non partagés, de raisonner par rapport à un idéal ou même une place inculquée sur des générations, pour ne pas dire depuis que l’humanité existe, ou qui encore ne se sont pas faites traitées de pute ou de nymphomane parce qu’elles ont exprimé ou réalisé leurs désirs pas plus condamnables que ceux des hommes. Mais qu’est-ce qui fait qu’une femme peut accepter un jour de devenir une proie et qu’elle ait tant de mal à sortir du piège qu’elle a parfois accepté elle-même de refermer ?
Par des questions que l’on refuse de se poser, un auto-conditionnement, une intériorisation de certains schémas, comportements, attentes de la société, de la famille, des réseaux professionnels et de ses propres rêves de princesses serinés dans d’autres contes de fées où la légitimité de la séduction est inégalement partagée ?
La privation de liberté, qu’elle soit physique, intellectuelle, affective ou psychique peut néanmoins toujours exploser, quand elle ne se conclut pas par un féminicide. S’il n’y a qu’une seule leçon donnée par Les femmes de Barbe Bleue, pièce courageuse et d’une grande finesse c’est celle-là. Femmes puissantes (merci aussi à Marie Ndiaye) levez-vous ! Femmes sauvages battez-vous pour reconquérir votre liberté ! C’est cela que ces fantômes de femmes sacrifiées se crient les unes aux autres pour changer leurs destins. Comment aurais-je pu réagir autrement ? Comment aurais-je pu et dû m’enfuir ? comment aurais-je du lui répondre ? La sororité n’a jamais aussi bien porté son nom car les femmes peuvent aussi s’entresauver. Il ne tient qu’à elles de s’ouvrir les yeux quand ils sont encore scellés par des siècles de domination, de sortir des rapports de dépendance quelle que soit l’intensité des emprises ou des manipulations, quel que soit le niveau de souffrance(s), les risques de rejet, les difficultés financières, la solitude affective.
Cela fait huit ans que la pièce Les femmes de Barbe Bleue tourne en France. On ne peut que lui souhaiter de doubler la mise. Le message de la petite clef qui ouvre des portes défendues est encore urgemment vital.
© Morgane Moal
Les Femmes de Barbe Bleue, d’après Charles Perrault
Ecriture collective dirigée par Lisa Guez, mise en forme par Valentine Krasnochok
Mise en scène : Lisa Guez
Dramaturgie : Valentine Krasnochok
Collaboration artistique : Sarah Doukhan
Création lumière : Lila Meynard et Sarah Doukhan
Création musicale : Antoine Wilson et Louis-Marie Hippolyte
Régie : Louis-Marie Hippolyte
Avec : Valentine Bellone, Anne Knosp, Valentine Krasnochok, Nelly Latour, Jordane Soudre.
Durée : 1h25
Théâtre de Belleville
16 passage Pivert
75011 Paris
Jusqu’au 29 mars 2025, du mercredi au samedi, à 21h15
www.theatredebelleville.com
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