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Les eaux lourdes de Christian Siméon, mise en scène de Thierry Falvisaner au Lucernaire

Fév 23, 2015 | Commentaires fermés sur Les eaux lourdes de Christian Siméon, mise en scène de Thierry Falvisaner au Lucernaire

ƒƒƒ article d’Anna Grahm

 

© Fonteray

© Fonteray

 

Le retour de la barbarie ébranle l’humanité. Face au crime, se dresse une exigence : Justice. Christian Siméon plante l’urgence. Tout son texte questionne cette nécessité toujours en souffrance. L’auteur, dans une langue poétique et tourmentée, revient sur cette aspiration, convoque les mythes, les figures de Jason et Médée, pose ses personnages dans la modernité. Un à un sur le plateau, ils vont avec force revendiquer leur légitimité, leur intégrité. Chacun va mettre en demeure l’autre de répondre de ses actes. Christian Siméon raconte une histoire tue, une histoire d’amour, de trahison et de vengeance. Un pan de notre Histoire. Où après la libération, il a fallu tourner la page de la guerre pour installer la paix. Une histoire qui repose sur la loi du silence.

Mais « dans les eaux lourdes » la loi du talion demeure. Ici dès le début le verbe dénonce le danger mortel auquel on s’est exposé. La mise en scène de Thierry Falvisaner choisit d’inscrire l’apparition de Pierre, le héros, en close up. Son visage déformé par la peur. Le cauchemar qui charrie les absents, met à jour la mémoire qui voudrait les ensevelir. Et ce n’est pas ce moment de sensualité, peau contre peau, ce n’est pas cet enlacé amoureux, qui parvient à les refouler. La mécanique de l’oubli ici ne fonctionne pas.

Car Mara – l’antique Médée, l’anti héroïne, la matricide, la sorcière – s’impose comme un venin empoisonné à son ancien amant, s’invite d’abord par les mots entre le nouveau couple, s’obstine à se rappeler à lui. Lettre après lettre, Mara s’entête, Marra attend son heure depuis 20 ans. Alors quand l’enveloppe s’ouvre c’est toute l’abomination qui s’échappe, se déverse. D’un coup les imprécations jaillissent en gros plan sur l’écran, l’image du sol au plafond d’une folle furieuse, ivre de rage, répand sa vindicte. Sous sa perruque peroxydée, il y a une guerrière, retentissante de désespoir qui le harangue sans relâche, il y a ce corps qui a porté la vie, qui est devenu objet de répulsion, que Pierre ne supporte plus, qu’il condamne férocement. Il y a cette blessure béante entre eux, cette sépulture, cette exécration. Mais celle qui incarne la continuité, la transmission, refuse la réprobation donne aux vivants d’autres morts. Sans le moindre repentir avoue l’enfant noyé, agite les spectres que l’on a livrés à la Gestapo, que l’on a lentement assassinés.

Et Pierre a beau se défendre et brandir Sa vérité, elle se brise sur les faits, « les paperasses de crimes » que Mara a retrouvé, notes et preuves d’aveux qu’elle a récupéré. Que le fils mal fini qu’il leur reste, que l’autiste à la mémoire phénoménale a enregistré et délivre sur commande comme une mitraillette. Ce fils automate qui se prend pour un oiseau dit les non dits, il est ce livre que nul ne peut effacer, qu’il faudra une nouvelle fois sacrifier.

Sidérante justicière, hallucinante incarnation d’Élisabeth Mazev, toute en excès, intensité et ruptures. Monstre à trois têtes, forte, fragile et fracassée, grave, graveleuse et givrée, incendiaire, irrésistible et implacable. Toujours farouchement arrimée à sa quête de vérité, prête à ne rien négocier, qui s’enferre dans la démence, qui s’est arrachée à la cohérence, « avec ce sourire ébréché d’avoir été tant serré ». Ici l’impuissance de la justice rend le mal pour le mal, ici le cycle de la violence continue sans fin. Et l’on se prend à admirer cette furie qui pourtant a perdu le sens commun. Oui. On se prend au jeu. Même si l’on sait pertinemment que là où s’arrête la vengeance commence le sentiment humain.

 

 

Les eaux lourdes
Texte de Christian Siméon
Mise en scène de Thierry Falvisaner
Avec Arnaud Aldigé, Julie Harnois, Elisabeth Mazev, Christophe Vandevelde

Du 28 janvier au 4 avril 2015
Du mardi au samedi à 19 h

Théâtre le Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs – 75006 Paris
Réservations au 01 45 44 57 34
M° Notre-Dame-Des-Champs
www.lucernaire.fr

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