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Les deux déesses, texte et mise en scène de Pauline Sales, au TGP, Saint-Denis

Nov 21, 2024 | Commentaires fermés sur Les deux déesses, texte et mise en scène de Pauline Sales, au TGP, Saint-Denis

 

© Jean-Louis Fernandez

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Une création bénie des dieux… Car voilà de la belle ouvrage ! Finement ciselée dans son écriture, de la plus belle eau poétique il faut le dire, et dans sa mise en scène, une ligne claire et volontaire, lumineuse sous la noirceur, travaillée au cordeau, précise et délibérément sobre, sans esbrouffe ni tralala. Toute la place est donnée à la fable contemporaine, sans rien sacrifier au mythe, et à ses personnages, aux comédiens, aux musiciens… Pauline Sales revisite le mythe de Déméter et de Perséphone à l’aune de notre époque foutraque. Parce qu’elle sait que les dieux et déesses sont les porteurs universels de nos passions humaines. Et ils le sont humains, ici, terriblement. Pour preuve, les dieux ne sont pas morts, tant pis pour Nietzsche, ils finissent, épuisés et la mémoire en lambeaux, à l’EHPAD. Ainsi commence Les deux déesses où Déméter âgée se souvient d’une note de musique, de « celles qui vous font la nique et vont s’endormir au creux du souvenir », comme le dit la chanson.

Déméter et Perséphone c’est avant tout l’histoire d’une relation fusionelle. Avec toute sa force et son ambivalence que la séparation, l’enlèvement de Korè par Hadès, frère de Déméter, révèle. C’est aussi l’histoire d’une métamorphose, le passage à l’âge adulte où Korè s’émancipe, devient Perséphone, et des liens qui se défont non sans souffrance entre une mère et sa fille. Femmes fortes aussi face aux patriarcat contre lequel elles luttent, chacune à leur façon. Un mécanisme de reproduction de la violence, inceste compris, entre les générations dont elles sont les victimes et qu’elles dénoncent ; Déméter est violée par son frère Zeus, Perséphone par son oncle Hadès. Les deux déesses est à ce titre une pièce féministe et inutile de s’en effrayer, d’hurler au loup, ce qui se dit là est d’un naturel désarmant, d’une vérité complexe aussi, qui n’appelle pas la contestation et dénoncé par Pauline Sales sans acrimonie. Déméter s’enfuit de l’Olympe, ne dit rien de sa condition divine, prend sa vie en main, élève en mère célibataire sa fille, bosse dure la terre ingrate et de son corps fait ce qu’elle veut au grand dam de sa famille olympienne à laquelle elle résiste.

Et le choix dans cette fable des personnages de Déméter (étymologiquement « mère de la terre ») et de Korè/Perséphone n’est pas si innocent que cela. Car cette pièce, mine de rien, enchâsse d’autres problématiques, naturellement liées entres-elles, dont nos deux déesses sont l’épicentre sensible et l’enjeu. Pauline Sales remonte naturellement à la source du mythe et se glisse ainsi adroitement la question écologique, sujet brûlant où l’actualité s’engouffre avec effraction au regard de l’élection américaine qui voit un président climatosceptique et pourfendeur de l’écologie être élue… Pur hasard mais c’est le mystère du théâtre que de pressentir où va le monde et de dénoncer la catastrophe à venir.

La mort aussi traverse cette comédie musicale. Rien de dramatique, loin de là, c’est aussi une leçon de philosophie, sans lourdeur, drôle aussi dans son traitement qui évite le tragique et sa gravité pour quelque chose de plus joyeux et, oui, sans paradoxe, de vivant. Vivre c’est apprendre à mourir, voilà qui est dit avec justesse, évidence et sans nul pathos. Perséphone aux enfers, (et quels enfers ! c’est une des scènes les plus drôles) qu’elle choisit délibérément de rejoindre après en être sortie, même si quelques pépins de grenade il est vrai ont aidé à cette décision, c’est une métaphore qui illustre avec délicatesse combien les morts nous accompagnent si nous savons en prendre soin. Et c’est ce balancement entre ces deux pôles, la vie et la mort, dans leur complémentarité, qui est ici évoquée et dont Perséphone est le trait d’union exemplaire.

Il souffle et traverse sur le plateau, sous les rameaux d’un olivier dominant la scénographie (laquelle accuse sciement la théâtralité), une énergie enjouée où chacun dans sa partition semble être heureux d’être là, composant avec grand soin son personnage. Pauline Sales a trouvé la juste distance, la note juste, que permet le théâtre musical, la comédie musicale étant plutôt ici comme une évocation. Les chansons et les danses apportent non pas un décalage, tant elles sont bien intégrées et venant avec naturel, mais quelque chose de ludique, comme si tout ça était certes sérieux dans son propos, où se révèle là une vérité au public adressée, mais avant tout un conte, une fable dans son traitement et dont la portée est universelle. Et le fait que tous chantent sans fausse note et dansent sans nulle gaucherie aucune est un sacré atout. C’est sacrément pop, on peut le dire, et on swingue parfois sévère. Chaque scène, chaque tableau porté avec un soin particulier, avec des idées toutes simples remarquablement tenues sur ce plateau quasi nu, mais ô combien efficaces qui n’obèrent pas, au contraire, l’émotion ou le rire. Les acteurs et les musiciens sont le pivot de cette création, Pauline Sales le souligne ayant su détourer avec soin les contours de chacun, soignant méticuleusement leur partition. Il y a de la finesse dans chaque trait, chaque caractère. Et ils sont formidables, tous, musiciens compris qui participent à cette réussite. Elizabeth Mazev (Déméter âgée, Hécate, Baubo, Métanire, Hestia) dont les compositions réussies font autant rire qu’ils émeuvent – mention spéciale quand même pour l’incarnation de Baubo, ici vieille babouchka dont la danse saphique fait rire (enfin) Déméter et le public – et Clémentine Allain (Déméter jeune), idoine mater dolorosa aux cheveux bleus, en tête. Mais il faudrait les citer tous qui contibuent à cette attachante et sans conteste réussite.

Laissons conclure Déméter à l’heure de rejoindre le monde d’en bas : « Sur la terre, cette terre c’était vraiment un lieu possible. »  Et c’est bien ce champs des possibles que Pauline Sales ici laboure visiblement avec bonheur.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

Les deux déesses, texte et mise en scène de Pauline Sales

(Le texte Les deux déesses  est paru aux éditions Les Solitaires Intempestifs)

Avec : Mélissa Acchiardi, Clémentine Allain, Antoine Courvoisier, Nicolas Frache, Aëla Gourvennec, Claude Lastère, Elizabeth Mazev, Anthony Poupard

Musique : Mélissa Acchiardi, Simon Aeschimann, Antoine Courvoisier, Nicolas Frache, Aëla Gourvennec

Scénographie : Damien Caille-Perret

Lumière : Laurent Schneegans

Son : Fred Bühl

Costumes : Nnathalie Matriciani

Maquillage et coiffure : Cécile Kretschmar

Travail chorégraphique : Aurélie Mouihade

Assistanat au son et régie son : Jean-François Renet

Régie générale : Xavier Libois

Régie plateau : Christophe Lourdais

 

Du 20 novembre au 1er décembre 2024

Du lundi au vendredi à 19h30, samedi à 17h, dimanche à 15h

Relâche le mardi.

Durée 1h50

 

TGP, centre dramatique national de Saint-Denis

59 bd Jules Guesde

93200 Saint-Denis

 

Réservation : www.tgp.theatregerardphilipe.com

 

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