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Les Damnés, d’après Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli, Mise en scène d’Ivo Von Hove, à la Comédie-Française

Oct 03, 2016 | Commentaires fermés sur Les Damnés, d’après Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Medioli, Mise en scène d’Ivo Von Hove, à la Comédie-Française

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

LES DAMNES -  D' aprés Luchino VISCONTI, Nicola BADALUCCO et Enrico MEDIOLI - Mise en scène : Ivo VAN HOVE - Scénographie et lumière : Jan VERSWEYSELD -
Costumes : An d'HUYS - 
Vidéo : Tal YARDE- 
Musique et concept sonore:  Eric SLEICHIM -
Dramaturgie : Bart VAN DEN EYNDE -  Avec la Troupe de la Comédie-Française :  Sylvia BERGE - Éric GENOVESE - Denis PODALYDES - Alexandre PAVLOFF - Guillaume GALLIENNE - Elsa LEPOIVRE - Loïc CORBERY - Adeline D HERMY - Clément HERVIEU LEGER - Jennifer DECKER - Didier SANDRE - Christophe MONTENEZ - 
Et Basile ALAIMALAIS - Sébastien BAULAIN - Thomas GENDRONNEAU - Ghislain GRELLIER - Oscar LESAGE -  tephen TORDO - Tom WOZNICZKA - 
Avec Bl!ndman [Sax] : Koen Maas, Roeland Vanhoorne, Piet Rebel, Raf Minten - Dans le cadre du 70ème Festival d'Avignon - Lieu : Cour d'Honneur du Palais des Papes - Ville : Avignon - Le 30 06 2016 - Photo : Christophe RAYNAUD DE LAGE

© Christophe Raynaud de Lage

Au sortir des Damnés d’après le scénario de Visconti, Nicola Badalucco, Enrico Medioli et mis en scène par Ivo Von Hove nous sommes glacés. D’effroi par une fin qui vise, au réel, le public mais également par une montée en puissance dans l’horreur, la violence crue et l’insoutenable. Décillés aussi car au delà des Damnés, au delà du nazisme, c’est aux origines de la violence qu’Ivo Von Hove remonte. Il dépasse l’Histoire pour revenir au mythe. Ainsi pointe-t-il le doigt naturellement sur notre barbarie actuelle… Rien de gratuit, de racoleur et de provocant. Au contraire une certaine sécheresse volontaire, loin du lyrisme de Visconti, une économie de moyen volontaire, une épure marquante et qui crisse. Ivo Von Hove en reste aux faits bruts, assèche donc sa mise en scène, évite tout esthétisme, tout effet superflu. C’est une ligne claire. C’est aride mais fulgurant et vous prend à la gorge. Cela procède du rituel, d’une cérémonie funèbre que chaque mort, chaque meurtre, rythme implacablement. Vision insoutenable de ces personnages que l’on mène cérémonieusement à la mort, enferme dans un cercueil. Et dont les cris muets, dans leur cercueil, projetés sur l’écran, hantent durablement nos mémoires et le plateau. Références aux nazis qui procédaient parfois de la sorte, bourreaux enterrant vivants leurs victimes ? Sans doute… Il faut donc oublier le film disions nous. Ne reste que le scénario qui fait référence aux plus grandes tragédies antiques et classiques et à l’histoire contemporaine, la montée du nazisme. Un matériau qu’on peut considérer comme lacunaire au regard d’un texte proprement théâtral. Mais par cette pauvreté du texte, toute relative, Ivo Von Hove peut faire acte de mise en scène, s’inscrire dans l’absence de style, soulagé en quelque sorte d’un matériau littéraire qui aurait pu orienter sans doute différemment la mise en scène. Ivo Von Hove met ainsi tout à plat et fait acte de théâtre où le texte, la technique, les acteurs sont au service d’une mise en scène globale, éléments plus que vecteurs principaux. C’est d’ailleurs cette incroyable unité, cette impression d’un tout cohérent et fluide, comme un regard extérieur, panoramique, ou tout fait sens au service exclusif de la dramaturgie et de l’histoire. Une mise en scène implacable qui transforme le plateau du Théâtre-Français désossé pour l’occasion, en un huit clos véritablement étouffant, ou la famille Von Essenbeck se déchire avant d’être broyée. De cour à jardin les comédiens ne sortent jamais de cet espace vide et protéiforme. Qu’ils se maquillent, s’habillent, se préparent, patientent. Sauf une fois, une seule où la Baronne Sophie Von Essenbeck, affolée, cherchant son fils parcourt suivie par la caméra, le théâtre, coulisses, couloirs jusqu’à aboutir sur la place Colette. Vision ahurissante, invraisemblable d’Elisa Lepoivre en nuisette et pieds nus courant sur l’asphalte, l’inscrivant dans une réalité troublante et qui vous happe. Un même effet de réel, de vérité que nous ressentons devant les gros plans de leurs visages, soudain à nus, et qui renvoie à une intimité, un étrange effet de réel se superposant à la fiction, intimité bientôt égarée dans les soubresauts de l’Histoire. En somme ce sont eux, les comédiens, qui signent en quelque sorte la scénographie dans ce décor quasi vide et cérémoniel, antichambre d’une tragédie sanglante. Ivo Von Hove s’attache méticuleusement à chacun mais sans jamais oublier les enjeux collectifs de l’histoire. Scrutés au plus près, suivis par une caméra, projetés sur un écran, ils sont toujours sous le regard de la salle, des spectateurs. Des spectateurs bientôt piégés à leur tour, témoins certes mais bientôt victimes aussi. C’est d’ailleurs cela qui est proprement cauchemardesque à savoir que devant cette montée implacable dans l’horreur et la tragédie où l’intime rejoint le politique, de voyeurs nous passerons brutalement à victimes potentielles. L’image finale n’a pas d’autre sens aussi terrible et prémonitoire soit elle. Ivo Von Hove ouvre ainsi les Damnés sur l’histoire contemporaine et notre aveuglement devant les populismes rampants. Un retournement stupéfiant et imprévisible, clôturant cette tragédie, et qui au regard des évènements actuels, et comme surgissant brutalement sur le plateau, fait froid dans le dos. Les damnés ce sont nous. Les cendres versées seront les nôtres. Ivo Von Hove procède par vagues concentrées, les scènes se succèdent inexorablement les unes après les autres, un rythme faussement étal où les tensions sont retenues, toujours au bord d’exploser. Jamais de débordement, non, mais une tension permanente, une intranquilité permanente qui va s’accentuant jusqu’à la folie. Avec pour échos des images d’archives des évènements extérieurs, l’incendie du Reichstag, La nuit de cristal, Dachau… Et c’est avec toujours une formidable économie de moyens qu’il réussit à évoquer « la nuit des longs couteaux » qui signe le massacre des S.A par les S.S. Scène stupéfiante et véritablement explosive, comme décentrée et brute au regard des autres scènes faussement policée. C’est pétrifié que nous applaudissons au bout de plus de deux heures de descente aux enfers. A la sensation d’une création magistrale se mêle le sentiment désagréable d’avoir vu en face, comme ces fusils pointés sur la salle, la métaphore de notre destin prochain.

Les Damnés
d’après le scènario de Luchino Visconti, Nicola Badalucco et Enrico Médioli
Mise en scène Ivo Von Hove
Scénographie et lumières Jan Versweyveld
Costumes An D’Huyis
Vidéo Tal Yarden
Musique originale et concept sonore Eric Sleichim
Dramaturgie Bart Van den Eynde
Assistanat à la mise en scène Laurent Delvert
Assistanat à la scènographie Roel Van Berckelear
Assistant aux lumières François Thouret
Assistanat au son Lucas Lelièvre

avec Sylvia Bergé, Eric Génovèse, Denis Podalydès, Alexandre Pavloff, Guillaume Gallienne, Elsa Lepoivre, Loïc Corbery, Adeline d’Hermy, Clément Hervieu-Léger, Jennifer Decker, Didier Sandre, Christophe Montenez, Sébastien Baulain
Comédiens de l’Academie de la Comédie française
Marina Cappe, Amaranta Kun, Tristan Cottin, Pierre Ostoya Magnin, Axel Mandron
et Basile Alaïmalaïs, Thomas Gendronneau, Tom Wozniczka, Louise Leriche, Eugénie Baurin, Océane de la Houplière, Ines leriche, Clotilde leriche, Pauline de Thieulloy, Nowa Lateulère, Claire Tabet, Alexia Zoghi

Cadreurs Vadim Alsayed, Céline Baril, Mathieu Gaudet
Maquilleuse scène Claire Cohen
Habilleuses scène Fleur Peyfort, Charline Radigois

Comédie Française
Salle Richelieu
1 place Colette
75001 Paris

En alternance
du 24 septembre au 13 janvier 2017
matinée à 14h, soirée à 20h30
réservations 01 44 52 15 15
www.comedie-française.fr

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