ƒ Article de Corinne François-Denève
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Les Créanciers (et non Créanciers, y insiste l’adaptateur) est une bien étrange pièce, rédigée par un August Strindberg alors en pleine séparation d’avec sa femme, l’actrice Siri von Essen. Sous-titrée « tragi-comédie », Les Créanciers est une sorte de vaudeville tragique, de « pièce bien faite » à la française, articulée selon une méthode expérimentale, et qui doit se finir dans un fracas. On y retrouve toutes les obsessions de Strindberg : la femme, être sans âme, ne semble être venue sur terre que pour voler la créativité et la sève des hommes. On peut légitimement se demander ce qui peut encore pousser des femmes, en 2018, à monter des pièces aussi problématiques. A moins que l’on ne considère que la pièce soit une dénonciation, (très) en creux, du sort des femmes, débitrices éternelles aux yeux d’une société patriarcale.
L’adaptation de Guy Zilberstein, sur une traduction d’Alain Zilberstein, ne change pas grand chose à l’affaire : le propos est toujours aussi troublant, même si les rires de la salle semblent montrer que le public a décidé que ces paroles étaient du second degré – ce dont on peut légitiment douter. Au Studio-Théâtre de la Comédie Française, le décor est léché : une porte, un miroir, de chaque côté du plateau, un dégagement qui ménage l’imaginaire d’un escalier, un vestibule vers le milieu, et occupant la moitié de l’espace supérieur, une sorte de mezzanine, derrière laquelle ne se laissent voir que des ombres chinoises. De beaux costumes de coupe impeccable, une bande-son hitchockienne, des petites vidéos qui n’apportent pas grand chose, des images qui rappellent Munch (les deux visiteuses, le « cri » final) : voici Strindberg relooké, home-stagé pour le Français.
Strindberg a conçu sa pièce comme une démonstration dramaturgique : le vieux mari est un metteur en scène qui s’amuse à agencer son théâtre, avant de se voir voler la fin qu’il avait imaginée. Les déplacements sont élégants et prévisibles. L’ensemble, censé représenter l’ivresse de la chair, l’amour sensuel qui unit Tekla, femme fatale, à son second mari, distille un bienséant ennui. Pour la scène finale, véritable retournement, Anne Kessler imagine ici un dénouement sotto voce, fuite dans le sommeil plus que dans la mort – à l’image de la pièce.
Didier Sandre est toujours magnifique, à articuler un texte par ailleurs abject. Sébastien Pouderoux pose dans divers coins du plateau, joli garçon, poitrine offerte façon Tennessee Williams, plus proche de la salle de gym que de l’épilepsie. Adeline d’Hermy minaude en short et brassière, puis se fâche en robe à grande fente (tous costumes remarquablement ajustés, au tissu et à la couleur sublimes) – que peut-elle faire d’autre ? Rien de trouble dans ces personnages, rien d’ambigu, et rien d’excitant.
Les Créanciers d’August Strindberg
Mise en scène : Anne Kessler
Avec : Adeline d’Hermy, Sébastien Pouderoux, Didier Sandre
Adaptation : Guy Zilberstein
Traduction : Alain Zilberstein
Scénographie : Gilles Taschet
Costumes : Bernadette Villard
Lumières : Eric Dumas
Son : mme miniature
du 31 mai au 8 juillet
18 h 30
durée estimée 1h 20
Comédie Française Studio
99 rue de Rivoli
Galerie du Carrousel du Louvre
75 001 Paris
Billetterie 01 44 58 15 15
https://www.comedie-francaise.fr
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