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Les contes d’Hoffmann, opéra fantastique de Jacques Offenbach, inspiré de E.T.A Hoffmann, livret de Jules Barbier, direction musicale Pierre Dumoussaud, mise en scène de Lotte de Beer, à l’Opéra-Comique

Sep 29, 2025 | Commentaires fermés sur Les contes d’Hoffmann, opéra fantastique de Jacques Offenbach, inspiré de E.T.A Hoffmann, livret de Jules Barbier, direction musicale Pierre Dumoussaud, mise en scène de Lotte de Beer, à l’Opéra-Comique

© Stefan Brion

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Lotte de Beer signe une mise en scène des Contes d’Hoffmann audacieuse. Audacieuse car se refusant au spectaculaire attendu propre au fantastique et de ses clichés rebattus pour une approche poétique et décalée, plus intimiste, enfin relativement, une longue introspection qui interroge la création, la relation du créateur avec son œuvre. L’espace scénique unique, conçu par Christof Hetzer, remarquable de dépouillement, volontairement restreint d’apparence, qui enclot les personnages, est un espace mental, celui d’Hoffmann au prise jusqu’au vertige et la perte avec sa création et ses personnages. Seule trace sensible de ce trouble, de ce malaise, les meubles dont l’échelle d’un tableau l’autre évolue, il y a là du Lewis Carroll, ou encore la poupée elle-même, cet automate qui aveugle Hoffmann, dont la dimension hors-norme ici manifeste une perte réelle de la réalité. Nous sommes dans un cauchemar éveillé qui autorise et justifie les ruptures, les passage comme du coq-à-l’âne d’un acte à l’autre, qui ne tiennent ensemble par un fil ténu et fragile, ici une femme, Stella, qui en contient trois, Olympia, Antonia et Giulietta hantant l’esprit torturé d’Hoffmann.

La restauration et réécriture des dialogues dans leur totalité, propre à l’opéra-comique et souhaité par Offenbach mais trop souvent obérés jusqu’alors entre la Muse et Hoffmann, éclairant cet opéra sous un nouveau jour insoupçonné oriente résolument Lotte de Beer dans cette voie qui fait de ce couple l’élément central de sa mise en scène. Une Muse qui n’a de cesse de rappeler combien tout ça n’est que fiction, construction littéraire, un « roman fantasmagorique », plus que fantastique en soi, à la limite du cliché où Hoffmann pour son malheur ne cesse de se projeter, s’identifier, multiplier ses reflets où traverser le miroir est à prendre ici au sens propre comme au figuré. Une muse qui démontre les contradictions et les failles, l’aveuglement, le narcissisme outré de celui qu’elle doit inspirer. Ces dialogues donnent à cet ouvrage qu’on dit léger une profondeur insoupçonnée, non sans un certain humour, que la mise en scène accuse avec cohérence et démontre avec justesse et que la scénographie sans esbrouffe, voire austère, accentue encore. Ce à quoi nous assistons au réel est un processus créatif en train de se faire dans une mise en abyme constante où la réalité s’emboîte dans la fiction, la fiction dans la réalité. Les deux s’entredévorant et dévorant Hoffmann. Il y a dans cette mise en scène quelque chose de pirandellien, voire de psychanalytique avant l’heure, où Hoffmann ne contrôle plus dans la réalité le personnage de fiction qu’il est devenu, et que le seul contrôle de cette histoire, paradoxalement, vient d’un personnage fictif, la Muse. C’est ici sans doute qu’est le fantastique proprement dit. Par les dialogues qui encadrent chaque tableau sans ralentir l’action pour autant, ce sont deux regards sur une même œuvre se faisant. Tout ici n’est que projection d’un homme en proie à ses fantasmes masculins, une vision masculiniste de la femme, qu’illustrent ces trois contes qui font l’opéra et que dénonce sans réticence la Muse. Pour autant Lotte de Beer ne dénature pas l’opéra d’Offenbach, elle le décrasse d’une gangue qui ne voyait en cette œuvre qu’un ouvrage fantastique, ce qu’il est dans une moindre mesure, une fantaisie qui trop souvent enferme Offenbach dans un cliché, celui de la légéreté, pour lui offrir une complexité bien plus radicale dont le centre et le cœur-battant est la relation de l’artiste avec son œuvre. Si Lotte de Beer s’attache au dialogue c’est parce qu’il reflète ce que la partition révèle aussi, à sa façon, une certaine gravité, une profondeur qui dépasse son sujet même.

Pierre Dumoussaud dans la fosse délabyrinthe la partition avec précision et éclat et démontre combien cet opéra est d’une richesse stylistique inouïe. Il règne dans la fosse une énergie qui n’empêche pas un sens de la nuance rigoureux, une volonté d’éclairer au plus juste une partition riche de contrastes étonnants. De chaque acte Pierre Dumoussaud extrait la singularité, la dramaturgie propre, sans jamais perdre l’unité de l’ensemble, en cela en parfait accord avec la mise en scène. Ce que l’on entend c’est un climax toujours mouvant, une tension sans relâche, une forte tonalité dramatique fait d’inattendus. Le plateau vocal est d’exception. Avec en tête Mickael Spyres, toujours fascinant, dont la grande expressivité n’est plus à démontrer, une voix toujours puissante et claire, une articulation sans défaut, capable de nuances infimes, une compréhension intime de son personnage avec lequel il fait corps, sans être nullement gêné de l’alternance entre les dialogues parlés et le chant. A ses côtés dans le rôle de la Muse / Nicklausse, la mezzo-soprano Héloïse Mas, voix ample, chaude et sensuelle, et d’une grande richesse dans la nuance, aussi excellente chanteuse que comédienne. Les dialogues qui lui sont imposés, nombreux, ne semblant chez elle n’être jamais un obstacle mais au contraire donner une épaisseur à son personnage d’une modernité étonnante. Le choix d’incarner Stella, Olympia, Antonia et Giulietta par une seule et même cantatrice se justifie du point de vue dramatique mais comporte un risque sur le plan musical. Chacune de ses figures exigeant une tessiture propre. Fatalement, à moins de trouver l’interprète unique capable d’aborder ces rôles sans faux-plis, l’un des personnages risque de souffrir du point de vue vocal. La vaillance de la soprano lyrique Amina Edris ne peut être prise en défaut ni l’abord des trois personnages, Olympia, Antonia et Giulietta dont elle exprime avec intelligence et pour chacune le caractère singulier. C’est Olympia qui fait les frais de cet engagement risqué. La pyrotechnie vocale est bien là mais comme très serrée voir métallique, dure et comme contrainte. L’impression étrange et peut-être fausse de devoir se ménager pour les partitions d’Antonia et Giulietta où la voix retrouve enfin son ampleur, s’épanouit pour donner sa véritable nature, avec ses toujours impeccables aigus capables de graves étonnants. La romance de la tourterelle est en cela exemplaire. Jean-Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, Miracle et Dappurto), timbre clair et assuré, voix ample et puissante, est diablement diabolique. Le reste de la distribution ne démérite pas qui donne à l’ensemble une cohérence vocale et théâtrale indéniable et contribue à la réussite de l’ensemble. Le chœur, l’ensemble Aedes, dirigé par Mathieu Romano, vocalement parfait, loin de faire de la figuration, subtilement dirigé, montre son importance dramaturgique. Les choristes bientôt doubles démultipliés d’Hoffmann, son ombre perdue, n’expriment rien d’autre que l’universalité et le tragique de la condition d’Hoffmann et de l’artiste. C’est une production de la plus belle eau pour cette ouverture de saison de l’Opéra-Comique où Offenbach, dont ce fut la dernière œuvre et dont il ne vit pas sa représentation, fait montre de tout son génie derrière le comique apparent et la légéreté feinte, qui est aussi, quoiqu’on en dise, une affaire sérieuse.

 

© Stefan Brion

Les contes d’Hoffmann, de Jacques Offenbach

Livret de Jules Barbier, inspiré de E.T.A Hoffmann

Direction musicale : Pierre Dumoussaud

Mise en scène : Lotte de Beer

Décors : Christof Hetzer

Costumes : Jorine van Beek

Lumières : Alex Brok

Réécriture des dialogues et dramaturgie : Peter de Nuyl

Collaboration à la dramaturgie : Christian Longchamp

Traduction française des dialogues : Frank Harders

Assistant à la direction musicale : Matthew Straw

Assistant aux décors : Alice Dal Bello

Directrice des études musicales : Nathalie Steinberg

Cheffe de chant : Flore-Elise Capelier (artiste de l’Académie de l’Opéra-Comique)

 

Avec : Michael Spyres, Héloïse Mas, Amina Edris, Jean-Sébastien Bou, Raphaël Brémard, Nicolas Cavaillier, Matthieu Justine, Matthieu Walendzick, Marie-Ange Todorovitch

Figurants : Luc Cers, Arnaud Richard, Hugo Collin

Orchestre philharmonique de Strasbourg – Ensemble Aedes

 

Jusqu’au 5 octobre 2026 à 20h

Durée 3h (avec entracte)

 

Théâtre National de l’Opéra-Comique

Place Boieldieu

75002 Paris

 

Réservations : 01 70 23 01 31

www.opera-comique.COM

 

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