ƒƒ article deDenis Sanglard
« Écrivaine, peintre et prostituée » ainsi se définissait Grisélidis Réal (1929-2005). Écrivaine flamboyante à l’écriture large et puissante, lyrique et crue. Femme libre et engagée, enragée et humaniste. Putain flamboyante et fière, debout, elle fut la catin révolutionnaire de tous les combats et des mouvements de prostituées des années 70. Celle qui brossa un portrait de ses clients avec une humanité sans concession où toute la misère sexuelle masculine explosait à la face de notre hypocrisie bourgeoise et puritaine est morte, en livrant avec rage et humour, avec lucidité, un dernier combat, celui d’un cancer où la mort acceptée et moquée devint la dernière chronique d’une femme d’exception.
Certes la mise en scène de Françoise Courvoisier ne brille pas par son originalité. Mais elle a au moins le mérite de dresser un portrait de Grisélidis Réal qui frappe par sa cohérence. Portrait d’une combattante éprise viscéralement de liberté absolue. De sa prison d’Allemagne où elle lutte pour ne pas sombrer, au trottoir des Pâquis arpenté en putain irrespectueuse crânement assumée, à son petit appartement où se livre son ultime combat, Grisélidis Réal jamais ne semble flancher. L’écriture et la peinture, la prostitution même, sont ses armes affutées. Trois âges, trois comédiennes, une vie traversée. Elodie Bordas, Françoise Courvoisier et l’impériale Judith Magre. Trois voix qui se répondent et dessinent un formidable portrait d’une femme exemplaire aux coups de gueule salutaires. « Suis-je encore vivante ? », « La Passe Imaginaire » et « Les sphinx » forment la trame de cette création parfois trop illustrative dans ses intentions mais sauvée par les comédiennes qui s’emparent des textes de Grisélidis Réal avec suffisamment de distance et de justesse pour ne pas verser dans le trivial de situation transcendée par cette écriture ultrasensible et forte de son style singulier. Judith Magre est impériale, oui, et s’empare de Grisélidis Réal avec le même appétit d’ogresse que celle qu’elle incarne. Drôle, farouche, incurable qui, implacable, scrute l’évolution de son cancer et pourtant terriblement, follement, joyeusement vivante. Fragile aussi mais forte de cette lucidité, de cette ironie imparable qui ne lui fait rien épargner pas même elle. Sans pathos ni sensiblerie à l’image de celle qui « ne voulait pas se rendre » Judith Magre dessine un portrait saisissant, obstinément dans l’instant sans refuser l’échéance inévitable mais chargée du poids d’une vie « à suivre son instinct ». De même a-t-elle l’élégance de ne pas effacer ses partenaires dont Elodie Bordas, solaire et révoltée en sa geôle, et Françoise Courvoisier à qui il manque sans doute l’âpreté généreuse de Grisélidis Réal. Mais ses petites réserves importent au fond bien peu au regard de cette écriture et du portrait de cette écrivaine, courtisane revendiquée, qu’il nous est donné de (re)découvrir. Celle qui fut la reine de ses combats a sans doute réussi l’ultime : être aujourd’hui encore, par son absence, plus que jamais vivante. Et indispensable.
Les Combats d’une Reine
De Grisélidis Réal
Adaptation et mise en scène de Françoise CourvoisierAvec Elodie Bordas, Françoise Courvoisier et Judith Magre
Lumière : André Diot
Son : Nicolas Le Roy
Coiffures et maquillage : Arnaud BuchsLa Manufacture des Abbesses
7, rue Véron
75018 Paris
Du 28 Août au 19 octobre 2014
Du jeudi au samedi à 21h, dimanche 17hRéservations : 01 42 33 42 03
Manufacturedesabbesses.com
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