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Les chats (où ceux qui frappent et ceux qui sont frappés), un spectacle de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, à Chaillot-Théâtre national de la Danse

Jan 08, 2025 | Commentaires fermés sur Les chats (où ceux qui frappent et ceux qui sont frappés), un spectacle de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, à Chaillot-Théâtre national de la Danse

 

© Ph Lebruman

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Loin des chats baudelairiens, cette comédie musicale complétement et génialement foutraque, avouons-le, est une réjouissante satire et inquiétante dystopie politique. Vacharde, caustique et lucide sur l’état du monde comme il va, c’est-à-dire de guingois, voire franchement mal. Ces dix matous se font joyeusement les griffes sur notre humanité en déroute. Plutôt experts en la matière, fins analystes de notre société et du paysage politique, tout y passe, promptement déchiqueté. Politique, économie, climat, prospective, technologie, racisme, immigration, xénophobie, patriarcat, Amazon… Un inventaire à la Prévert des maux qui gangrènent notre société où ne manque que les ratons laveurs. Calés sur leur sujet, parfaitement informés, ça tient autant de la conférence pointue que du débat acharné. Ça ne ronronne pas vraiment, ça n’est pas toujours d’accord, les avis sont tranchés, les arguments aiguisés, ça s’engueule sévère, les coups de pattes pleuvent, ça crache, ça mord, mais puisqu’il faut bien cohabiter malgré les divisions franches, que la gamelle est bonne et la moquette moelleuse, la litière propre, autant faire la chattemite auprès de « Maman » pour qui les chats « sont un sanctuaire ». Et d’ailleurs si Artémis n’avait pas été boulottée par Sergent et Major, les deux bergers allemands de « Neuneuille », tout le paysage politique français de jadis, croit-on, n’aurait pas tant changé. Quitter enfin Montretout et ses dogues bouffeurs de chats, dédiaboliser le parti de papa et viser l’Elysée, voilà le programme accompli de « Maman ».

Car nous y sommes, l’extrême droite est ici au pouvoir… Alors sur la moquette Elyséenne, dans ce palais retranché, on se résigne, on s’accommode, on collabore ou on se rebelle, entre deux gratouilles, léchouilles et patounages. Marlène Saldana et Jonathan Drillet, excellents polémistes dans cette affaire, signent un pamphlet musical féroce qui miaule son inquiétude et crache sa rage devant la montée de l’extrême droite, la xénophobie décomplexée et galopante, le cynisme de l’ultra-libéralisme, le climato-scepticisme tenace. Un portrait glaçant aussi de « maman » et de « Neuneuille » qui n’invente rien mais remonte à la source des citations et propos nauséabonds tenus par ces deux-là. Etrange coïncidence aussi qui voit cette première avoir lieu le jour de la mort de Jean-Marie Le Pen… comme cénotaphe satirique, on ne pouvait rêver mieux.

C’est drôle, oui, mais tout aussi inquiétant que le sourire du Chat de Cheshire pour qui le bon ordre des choses reste un mystère. Certes il y a quelques longueurs, c’est parfois franchement bancal, mais ce qui semble primer ici est l’urgence de dire devant une situation qu’on espère résistible. Les esprits chagrins, il y en aura, argumenteront que tout ça penche à bâbord toute. Oui, et ? Ici pas de jugement mais un simple constat d’une mécanique politique et libérale qui mène notre humanité à la catastrophe. Et nos arrangements, nos compromissions, nos révoltes, notre impuissance aussi, devant cette réalité. Et nos drôles de matous, loin de la distinction de la comédie musicale de Cats, parodiée en une courte et hilarante séquence, semblent se foutrent royalement d’être crédible en leurs atours félins, faits à vrai dire de brics et de brocs. « L’imagination étant la seule arme dans la guerre avec la réalité », sagesse du chat de Cheshire toujours, on y croit quand même. Ca chante comme on peut, plus ou moins bien, ça danse de même, partition, mélodie et chorégraphie sont minimalistes. Une économie radicale et volontaire, affranchie de tout carcan scénique, explosant la forme même de la comédie musicale – à vrai dire ça tient plus, dans l’esprit, du cabaret – qui n’encombre pas la pertinence du propos. Le zoomorphisme, lui, n’étant qu’un prétexte commode pour asséner une vérité pas jolie-jolie. C’est d’ailleurs ça qui emporte, une écriture au cordeau, l’intelligence de l’argumentation et l’exactitude des arguments avancés jusque la contradiction apportée, sans concession aucune et qui prime sur la forme. Si on connaît la sagesse des chats, « ces grands sphynx allongés au fond des solitudes » (Baudelaire), ce n’est pas ici vraiment le cas, où Marlène Saldana et Jonathan Drillet, et leurs neuf acolytes matois, font régner sur le plateau une folie salutaire où la vraie question qui vaille devant la tragédie annoncée, et posée à la fin, est de savoir si nous sommes optimistes ou pessimistes.

 

© Ph Lebruman

 

Les chats (où ceux qui frappent et ceux qui sont frappés), un spectacle de Marlène Saldana et Jonathan Drillet

Crée en collaboration avec : Alina Arshi, Jonathan Drillet, Mai Ishiwata, Christophe Ives, Dalila Khatir, Aurélien Labenne, Mark Lorimer, Guillaume Marie, Marlène Saldana, Stephen Thomson, Charles Tuyizere

Collaboration artistique et assistanat : Céline Peychet

Création musicale et claviers : Laurent Durupt

Batterie : Stan Delannoy

Saxophone : Rémi Fox

Shakuhachi : Jean-François Lagrost

Contrebasse : Raphaël Schwab

Mis : Paulie Jan

Scénographie : Théo Mercier assisté de Marius Belmeguenaï et Moustache

Dessin moquette : Jérémie Piningre

Construction décors : les ateliers de la MC93

Costumes : Jean Biche

Assistant costumes et habillage : Zoé Lachaud

Moutons et masques : Vanessa Riera assistée de Eléna Sidéri

Lumières : Lise Blanckaert, Fabrice Ollivier, Yarol Stuber

Son : Guillaume Olmeta

Régie son : Bertrand Faure

Régie plateau : Adéle Cathala

Régie générale : Moustache

Régie surtitres : Florence Mato

 

Jusqu’au 11 janvier, à 19h30

Le samedi à 17h

 

Chaillot-Théâtre national de la Danse

1, place du Trocadéro

75116 Paris

 

Réservations : 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

 

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