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Les Bonnes, de Jean Genet, mise en scène de Robyn Orlin, Théâtre de la Bastille

Nov 07, 2019 | Commentaires fermés sur Les Bonnes, de Jean Genet, mise en scène de Robyn Orlin, Théâtre de la Bastille

 

 

© Robyn Orlin

 

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Les bonnes de Jean Genet et Robyn Orlin cela semble aller de soi. Pour sa première mise en scène, la chorégraphe et performeuse sud-africaine, vivant désormais en Europe, ne perd rien de sa rage, de sa niaque et surtout de son impertinence, de son regard aigu sur les questions de société, racisme, domination, genre. Jean Genet et Roby Orlin, même combat donc.  Et même armes. Celle d’une déconstruction systématique des structures inhérentes de la représentation, ici la tragédie dont il ne reste que des lambeaux et une parodie mordante, satire acide d’une bourgeoisie déliquescente, pour une critique franche de nos systèmes d’aliénation, sociale et politique, sujet de cette courte pièce toujours aussi brûlante et contemporaine.

Mais aujourd’hui, s’interroge Robyn Orlin ? Comment dépasser la représentation traditionnelle au regard de l’évolution de la société depuis sa création ? Comment donc, sans oblitérer le passé, réactualiser les enjeux de la pièce ? Robyn Orlin choisit trois comédiens, – ce que Jean Genet avait en tête – deux noirs, un blanc. Souvenance logique d’un passé sud-africain et de l’apartheid. Première couche à vrai dire d’un postulat qu’avec beaucoup de subtilité elle décante. Les bonnes sont noires mais ce qu’elles jouent lors de cette cérémonie bientôt funèbre c’est aussi la représentation des noirs par les blancs, leur regard porté sur elles, de dominant et colonisateur. Jouer à être Madame c’est ne pas vouloir devenir Madame, c’est acter dans un jeu de miroir pervers leur condition de dominée. Le travestissement n’est plus dans le costume ni seulement dans le genre mais également dans la couleur de peau… Ou blanchir sa peau serait pouvoir accéder enfin au même statut social. Une mise en abyme pas si déroutante que ça une fois le masque déposé, la cérémonie achevée, le miroir traversé. Et c’est ça aussi qui mène au drame, au gardénal bu jusqu’à la lie.

S’emparant du rôle de Madame et de ses robes, donc de sa peau blanche, Claire ou Solange, chacune leur tour, renversent à leur tour la représentation et offrent leur regard décillé sur la bourgeoisie blanche au relent raciste et colonialiste dont elles sont les victimes de fait. Mais Robyn Orlin retourne tout ça comme un gant de vaisselle. Il y a quelque chose d’une grande ambiguïté qu’elle souligne. Sommes-nous aussi responsables de notre aliénation ? La relation avec Madame et tout ce qu’elle induit, d’amour et de haine, de lucidité et d’aveuglement sur sa propre condition, son statut de noires exploitées, de déterminisme social, est minutieusement décortiquées jusqu’au malaise. Et si cette relation toxique était aussi celle, entretenue,  de ces deux sœurs entre-elles ? Le produit et reproduction à huis-clos de leur aliénation sociale.

Et rien ne semble avoir ni devoir changer pour Robyn Orlin. En projetant le film de Christopher Mils, The Maids, réalisé en 1975, n’en conservant que les décors surannés d’un appartement bourgeois, elle y incruste les comédiens. Aux bonnes blanches succèdent donc deux bonnes noires, interprétés par deux hommes. Mais si le lieu de tous leurs fantasmes et de leur condition d’esclaves modernes semble appartenir à un passé révolu et si peu lointain, le sujet, leur toujours assujettissement, lui demeure pertinent et sur le plateau nu, hors de la projection, se révèle aussi terriblement juste. Et la crise qui explose, avant son acmé qui verra la mort de Claire, se fait devant un écran désormais noir qui ne reflète que les bonnes et le vide, l’abîme. Et c’est bien à une lente descente en enfer à laquelle nous assistons. La mort expiatoire et tragiquement toc de Claire, travestie illusoirement en Madame, ultime pied de nez, c’est le triomphe absolu de cette bourgeoisie blanche et raciste. Le constat de Robyn Orlin est imparable, comme celui de Jean Genet, devant le déterminisme social et la reproduction des élites qui aliène l’individu. La vérité exprimée par Solange, ce long cri de rage écorchée, hallucinée dans cette mise en scène, n’est plus de l’ordre du fantasme mais pue son eau de vaisselle. En résumé le sujet résiste à tout décor, le politique survit à tout contexte.

Si l’on regrette le jeu quelque peu outrancier et sans nuance véritable d’Andréas Goupil, Madame, on ne peut que saluer la performance d’Arnold Mensah et Maxime Tshibangu. Sans être travestis réellement, formidables d’ambiguïté dans leur jeu à tiroir, leur fluidité formidable à passer d’un jeu à l’autre sans heurt, nous déstabilisant même, et qui offre une vision de Claire et Solange bien plus complexes qu’elle n’y paraît dans perspective vertigineuse. Ces deux bonnes là, par eux, et l’impulsion de Robyn Orlin, en deviennent le symbole d’une situation intenable et tragique, entre déterminisme social et fatalisme, d’une impossible ou difficile émancipation sociale et politique des noirs, au-delà même de l’Afrique du Sud. Robyn Orlin signe sa première mise en scène comme elle conçoit ses performances, un manifeste implacable, un regard tranchant et lucide, sans concession. Indispensable.

 

© Robyn Orlin

 

 

Les Bonnes de Jean Genet

Mise en scène Robyn Orlin

Avec Andréas Goupil, Arnold Mensah, Maxime Tshibangu

Création lumières Laïs Foulc

Création vidéo Éric Perroys

Création costumes Birgit Neppl

Création musique Arnaud sallé

Régisseur général Fabrice Ollivier

 

 

Du 4 au 15 novembre 2019

A 20h, relâche le jeudi 7 et le dimanche 10 novembre 2019

 

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

Réservations 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

 

Tournée :

20 au 23 novembre 2019 Théâtre Garonne, Toulouse

26 et 27 novembre 2019 CDN de Rouen

30 novembre 2019 Théâtre Louis Aragon, Tremblay en France, Festival d’Automne à paris

4 mars 2020 Kinneksbond, Mamer (Luxembourg)

17 au 21 mars 2020 CDN de Tours

 

 

 

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